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3.3 Besoin d’analyser le comportement de l’économie en dehors de l’équilibre
L’équilibre est en effet un état très particulier de l’économie où tous les problèmes de coordination sont nécessairement résolus, sans qu’on puisse expliquer en général dans l’approche standard par quel mécanisme ou quel deus ex machina émerge cette coordination.
Même si on arrive en général à assurer l’existence de l’équilibre (souvent sous des conditions relativement générales), il est en général très rare de montrer que l’équilibre est unique (auquel cas les agents se trouvent à nouveau confrontés à un problème de coordination entre équilibres), ni qu’il est globalement stable (ce qui nous incite à douter de la capacité de l’économie de revenir vers l’équilibre si elle n’y démarre pas dès le début).
De plus le théorème de Sonnenschein-Mantel-Debreu nous a appris il y a longtemps que les conditions de l’équilibre général Walrasien ne permettent pas de caractériser de manière univoque les caractéristiques de l’économie, car elles peuvent correspondre à toutes les économies qui vérifient les conditions d’existence de l’équilibre tout en ayant des caractéristiques très différentes sur d’autres dimensions. A l’origine de cette impossibilité résident des difficultés d’agrégation des demandes individuelles. [I] [I] Voir [Mas-Colell, 1995] pour une exposition relativement pédagogique de ce théorème difficile.
Au delà de ces conditions de nature plutôt technique, une autre difficulté, cette fois-ci de nature essentielle, rend relativement peu pertinente la focalisation de notre attention sur les états d’équilibre de l’économie, quand la structure de celle-ci se modifie en permanence, notamment grâce aux innovations radicales créées en son sein, comme le soulignait Schumpeter dès 1911 :
«La situation de cet état d’équilibre idéal que l’économie nationale n’atteint jamais et vers lequel toujours – inconsciemment il va de soi – elle fait effort pour atteindre, se modifie parce que les données se modifient.» [Schumpeter, 1935/1999]
Même si Schumpeter suppose implicitement ici que l’équilibre est stable, il souligne néanmoins qu’il s’agit d’une cible mouvante même dans ce cas, cible qui n’est jamais vraiment atteinte tant que les éléments de cette économie se modifient. Cette difficulté ne rend aucunement impossible l’analyse économique d’une telle dynamique, comme nous le montrerons par la suite, notamment grâce à un modèle que nous présenterons dans le chapitre 13↓.
Du fait de toutes ces difficultés, nous ne pouvons pas restreindre l’analyse aux états d’équilibre de l’économie et faire l’économie de l’analyse des dynamiques hors équilibre. Or, la dynamique en déséquilibre de l’économie fait apparaître beaucoup de phénomènes intéressants (des complications) qu’on écarte dans l’approche standard depuis Walras notamment :
pas de loi de prix unique;
des interactions réelles sur les »marchés«;
des rencontres effectives entre les offreurs et les demandeurs;
des mécanismes de rationnement;
des interactions hors marchés (imitation, négociation, etc.).
Il est nécessaire de développer alors une approche plus générale où l’équilibre n’est pas supposé comme hypothèse, mais devient une propriété potentiellement émergente de l’économie, résultant des interactions des agents. La question de la coordination des décisions économiques se pose alors pleinement. Nous reviendrons sur ces questions plus spécifiquement dans les chapitres 9↓ et 10↓.
Si les agents ne peuvent se baser sur l’équilibre, quels comportements des autres pourront-ils anticiper pour résoudre leurs problèmes de décisions dans une approche substantielle de leur rationalité?
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