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9 Evolution des stratégies dans les jeux et coordination : équilibres évolutionnaires

La coordination est–elle nécessairement l’apanage d’individus pourvus d’une rationalité très sophistiquée? L’approche standard que nous avons considérée dans la première partie de l’ouvrage pourrait le laisser penser car l’équilibre et la rationalité font partie des trois piliers de cette approche comme nous l’avons montré.
Même dans le cadre plus stylisé des jeux stratégiques (comme l’oligopole de Cournot que nous avons déjà rencontré ou le Dilemme des prisonniers, bien connu), les théoriciens des jeux ont dû imposer des conditions de rationalité de plus en plus strictes pour assurer la coordination des agents sur un nombre limité d’équilibres (idéalement unique), dans l’ensemble souvent très large des équilibres de Nash. [Y]  [Y] Ce chapitre s’inspire très largement du chapitre 9 de [87]
Or les expériences sur des jeux avec des sujets humains montrent que les joueurs réels utilisent plutôt des stratégies simples, relativement stables dans le temps et correspondant à des règles de comportement qui possèdent une dimension adaptative importante. Leur comportement correspond alors plus à une rationalité procédurale, accompagnée d’un apprentissage guidé par un processus d’essai et erreur ou d’imitation des autres joueurs. En fait, Nash lui-même envisage cette possibilité dans sa thèse de doctorat [Nash, 1950] (voir Figure 9.1↓).
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Figure 9.1 Interprétation en Action de masse de l’équilibre de Nash en stratégies mixtes
Ce type de mécanismes simples est aussi observé depuis longtemps par les biologistes dans les sociétés animales bien connues : il est difficile de soutenir que chaque fourmi soit pourvue d’une rationalité très forte, mais une fourmilière peut néanmoins fonctionner d’une manière harmonieuse et stable dans le temps. De même, beaucoup de sociétés de mammifères ont remplacé les combats à mort entre les prétendants au rôle du mâle dominant par une symbolique de la domination et de la soumission qui permet de résoudre ce type de conflit avant que cela débouche sur l’élimination pure de tous les concurrents sauf un. Dans ce cadre tout se passe alors comme si des règles de comportements simples avaient évolué dans le temps, du fait d’un apprentissage par la communauté d’animaux ou, plus globalement, par l’espèce concernée, sous la pression sélective de l’environnement de cette espèce ([Maynard-Smith, 1987]). Cette observation et la constatation que ce qui compte dans l’évolution est la stabilité des comportements, plutôt que leur conformité avec un critère d’optimalité, ont conduit à l’ouvrage de [Maynard Smith, 1982]. Et cet ouvrage a donné naissance au champ des jeux évolutionnaires, aujourd’hui très riche.
Les jeux évolutionnaires (voir aussi [Weibull, 1995], pour une exposition plus moderne et détaillée) s’inspirent des mécanismes de l’évolution biologique (la mutation et la sélection) pour étudier les solutions auxquelles peuvent conduire les interactions en l’absence d’une rationalité forte, comme l’a envisagé John Nash (voir Figure 9.1↑). Ils considèrent alors que le jeu est joué un grand nombre de fois, entre des individus possédant une rationalité limitée et très peu d’information sur le jeu. Ces individus sont tirés de manière aléatoire d’une grande population. Mais cette interprétation pose au moins un problème : les interactions qui caractérisent la dynamique d’évolution se font nécessairement entre les membres d’une population ou entre plusieurs populations et non entre deux individus bien définis. La stabilité dont on parle est la stabilité de certains traits caractéristiques dans chaque population et non celle des stratégies à proprement parler. Par conséquent la transposition de ce type de mécanismes à des jeux entre individus n’est pas immédiate et nécessite beaucoup de soin pour pouvoir en tirer des conclusions sur les résultats des jeux entre individus.


Contenu : Chapitre 9

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(c) Murat Yildizoglu, 2021-