Section 13.5: Application : Winter (1984) Up Chapitre 13: Dynamique des industries et des marchés Section 13.7: Application : Marché financier simple 

13.6 Dynamiques des marchés financiers

Les marchés financiers aussi ont fait l’objet d’analyses très intéressantes, bénéficiant de l’apport d’une vision en termes de SCA et des MMA. En effet, ces marchés sont assez clairement structurés, avec même un mécanisme de coordination intégré, un peu comme le commissaire-priseur de Walras. Les comportements sur ces marchés ont aussi fait l’objet d’une attention particulière, que cela soit en termes de développements théoriques sur ce qui constitueraient des stratégies optimales, ou empiriques, sur la distance entre les comportements réels et ces stratégies désignées comme étant optimales.
En effet, l’efficience supposée du marché et la rationalité substantielle des agents, qui sont des hypothèses de départ de beaucoup de travaux théoriques, sont loin d’être observés dans les travaux empiriques et leur validité fait encore l’objet d’âpres débats.
De plus, comme ces marchés, par leur nature, génèrent des observations très fines et quasiment en temps réel, nous avons l’opportunités d’observer assez finement les comportements des agents (en termes d’ordres émis), et les propriétés agrégés des dynamiques de marché [Cont, 2001], dont celle du prix des titres . Ces observations font souvent apparaître des phénomènes difficiles à expliquer sous les hypothèses standards, comme une volatilité importante, et nécessitent de nouvelles approches théoriques. Une meilleure compréhension du fonctionnement de ces marchés et des comportements des agents qui y interviennent est devenue centrale dans les économies modernes dans lesquels ces marchés occupent maintenant une place critique.
Sur la base d’une représentation relativement simplifiée de ces marchés, les MMA financiers, ou les marchés financiers artificiels comme on les appelle parfois, cherchent à éclairer les mécanismes de fonctionnement et d’interactions qui donnent naissance à aux dynamiques riches que nous observons sur ces marchés.
Beaucoup de MMA adoptent une structure simple où un nombre de types d’agents, distingués en général par les stratégies qu’ils suivent sur le marché (par exemple, fondamentalistes vs analystes techniques), et par leurs propriétés individuelles interagissent sur le marché. Ces comportements sont combinés par un mécanisme de fixation de prix des titres en fonction des ordres donnés. On étudie alors les propriétés des dynamiques du marché (principalement le prix, le volume) et les performances relatives des différents types d’agents. Les différents MMA adoptent une version plus ou moins complexe de cette structure de base et, potentiellement, des règles d’évolution des comportements des agents, en fonction notamment de leur apprentissage sur le marché.
L’un des premiers de ces modèles, et aussi l’un des plus riches, a été réalisé assez tôt, au sein de l’Institut de Santa Fe même.

13.6.1 Le marché financier artificiel de Santa Fe Institute (MFSF)

Le marché financier artificiel de Santa Fe Institute (le MFSF) est décrit dans le détail dans [Arthur, 1996, Arthur, 1997]. Sans avoir la possibilité de le présenter dans tous ses détails, nous en donnerons un aperçu ici en suivant le résumé qu’en donne Blake LeBaron, l’un de ses auteurs [LeBaron, 2000, 197].
Le MFSF a la particularité de chercher à combiner une représentation précise de la structure et du fonctionnement du marché financier avec une capacité d’apprentissage inductive des agents, dont les processus d’anticipations sont représentés par des systèmes classeurs (dans une démarche proche de notre discussion dans la section 3.1↑.
Pour la structure générale du marché et les critères de choix des agents, le MFSF cherche à rester proche de la représentation du marché dans les modèles standards : le marché est composé de agents hétérogènes avec une utilité CARA (aversion absolue constante au risque) qui cherchent à composer un portefeuille financier à partir d’un titre sans risque et d’un actif risqué, rapportant des dividendes stochastiques.
Le titre est disponible sans limite et il rapporte un taux d’intérêt fixe . La dividende suit un processus aléatoire simple :
est i.i.d. et . Tout agent de type CARA, voudrait détenir alors unités d’actif risqué dans son son porte-feuille : est les prix de l’actif risqué en date , est la variance conditionnelle de à cette même date, est le coefficient de l’aversion absolue au risque et est l’anticipation de l’agent en date .
Si l’on suppose qu’il y ait exactement le même nombre d’unités d’actif risqué que d’agents, le modèle est bouclé
Ce qui peut se passer sur ce marché dépend bien sûr des anticipations des agents sur les valeurs futures de l’actif risqué. Si tous les agents utilisent un mécanisme d’anticipation linéaire de type , on peut définir un équilibre à anticipations rationnelles (EAR) dans ce marché et calculer les valeurs correspondantes de et de , mais le modèle n’aurait pas beaucoup d’intérêt si on ne se limite qu’à cette possibilité.
Les auteurs apportent leur innovation dans ce cadre, en introduisant un mécanisme inductif de formation d’anticipations, comme nous l’avons discuté dans le chapitre 11↑ : chaque agent essaie effectivement de former ses anticipations sur l’état futur du marché et donc sur les valeurs futures, à travers un système classeur (SC) proche de celui proposé par John Holland [Holland, 1992, Holland, 1989]. Le système classeurs cherche à affecter à l’état actuel du marché (tel qu’il est observé par l’agent via un système d’indicateurs binaires correspondants à des différentes conditions sur le marché) la prévision conditionnelle des valeurs futures du prix et des dividendes de l’actif risqué. En fonction de l’état de l’environnement, chaque classeur dont la partie condition est compatible avec cet état prescrit un vecteur des paramètres de prédiction, , via lesquels l’agent peut formuler une anticipation pour les valeurs de l’actif risqué de type
Cette espérance, combinée avec l’estimation de permet à l’agent de déterminer alors une demande pour l’actif risqué, selon l’équation .
Une fois que le commissaire de marché a reçu les demandes et offres des agents, il calcule le nouveau prix de marché, ainsi que la proportion qu’aura chaque agent de l’actif risqué.
Pour former l’espérance conditionnelle l’agent cherche à caractériser l’état actuel du système en codant cet état sur bits qui prennent la valeur chaque fois que la condition correspondante est observée et la valeur sinon :
Les sept premiers bits portent sur les fondamentaux, tandis que les bits 8-11 relèvent de l’analyse technique du cours.
La partie condition des règles du systèmes classeurs vérifient leur compatibilité bit par bit avec ces conditions (la valeur étant compatible avec et à la fois). Chacune des règles d’anticipations dans le SC est évaluée selon sa précision dans ses prédictions passées. Cette précision est actualisée en utilisant la dernière erreur observée, avec une inertie . Un algorithme génétique fait évoluer cette population de règles du SC en utilisant un critère de fitness basé sur cette précision, toutes les périodes en moyenne pour chaque agent, correspondant alors à la fréquence de l’apprentissage de l’agent.
Quand l’apprentissage est lent , le marché a une configuration proche de l’EAR. Au contraire quand l’apprentissage est rapide , les bits correspondant à l’analyse technique commencent à peser sur le comportement des agents et on observe l’émergence dans le modèle d’une persistance de la volatilité des prix et des volumes de transactions plus élevés par rapport au cas d’apprentissage lent, comme ceci est aussi observé en général sur les marchés financiers réels. L’équilibre EAR devient donc un cas particulier des états générés par ce modèle.
Déjà intéressant par ses résultats et ayant été formulé assez tôt dans la littérature, ce modèle a joué un rôle de référence pour d’autres modèles qui ont pu être développés par la suite. Il reste néanmoins relativement particulier dans les hypothèses de comportements qu’il adopte et d’autres modèles ont suivi d’autres voies. Nous n’avons pas la possibilité ici de discuter ces différents modèles et nous envoyons le lecteur vers l’excellent survol de littérature par Blake LeBaron [LeBaron, 2006]. La section suivante propose une petite application très simple qui démontre la capacité de ces modèles de faire émerger des dynamiques agrégés très réalistes à partir des comportements individuels très simples (en fait beaucoup simples ici que dans la littérature).

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(c) Murat Yildizoglu, 2021-