Partons de quelques observations :
Ces observations indiquent principalement que
Nous allons étudier dans ce chapitre les mécanismes concurrentiels qui sont à la base de cette création de variétés.
En l'absence de différenciation, l'homogénéité du produit limite les stratégies des firmes aux quantités (Cournot) ou aux prix (Bertrand).
En cas de différence de prix (Bertrand) les consommateurs s'adressent uniquement à la firme qui pratique le prix le plus faible si celle-ci possède une capacité de production suffisante.
La seule caractéristique du bien qui compte pour les consommateurs est son prix.
Naturellement dans la réalité les consommateurs font souvent la différence entre les produits des firmes, soit parce qu'ils ont l'habitude de consommer une marque particulière, soit parce que le magasin qui distribue ce produit est plus près, soit parce qu'une firme produit un bien de meilleure qualité que son concurrent.
Ils sont donc même prêts à payer un prix légèrement plus élevé pour ce bien.
Quelqu'en soit la raison, la différenciation de produit se traduit par une élasticité-prix croisée finie entre les produits des différentes firmes : si son concurrent baisse son prix la firme ne perd pas la totalité de sa clientèle.
Ainsi, des prix supérieurs au coût marginal seront-ils tout à fait soutenables dans un équilibre avec différenciation de produit même si les firmes se font concurrence en prix : la différenciation adoucit la concurrence entre les firmes.
Il existe deux types de différenciation :
Nous allons étudier séparément ces deux types de différenciation.
Les firmes peuvent modifier plus facilement le prix de leur produit que ses caractéristiques physiques.
En choisissant les caractéristique de leur produit (leur localisation dans l'espace des caractéristiques), elles vont tenir compte du fait que cette localisation va influencer la virulence de la concurrence en prix qu'elles vont se livrer. Nous allons donc considérer que les firmes choisissent leur produit avant de choisir leur prix.
Il existe principalement deux manières de modéliser les choix de différenciation des firmes:
Dans l'étude des modèles d'adresse, nous n'allons pas reprendre le modèle de Hotelling (1929) tel quel. Initialement, c'est un modèle de différenciation horizontale. Nous allons en considérer une version qui permet d'analyser les choix de différenciation verticale.
Concernant les modèles sans adresse, nous allons en étudier deux sortes : un modèle simple d'oligopole différencié qui a été initialement proposé par Dixit (1979) et le modèle de concurrence monopolistique de Chamberlin (1933).
En réinterprétant la droite unitaire comme étant le lieu géométrique des différentes qualité d'un bien, nous pouvons représenter la différenciation verticale dans un modèle spatiale. On a alors un bien dont la qualité est donnée par
Plus est élevé, plus la satisfaction que le consommateur tire de la qualité est élevée.
représente donc sa disponibilité à payer pour la qualité
Les courbes d'indifférence sont données par:
Nous pouvons alors représenter ce marché sous la forme d'un segment de droite de taille unitaire.
Il y a deux firmes sur le marché . La firme produit la qualité avec
Le coût de production unitaire pour ces deux qualités est
Soient et les prix des deux firmes.
Nous pouvons calculer la consommateur qui est indifférent entre les deux qualités :
(2.1) | ||
Chaque firme maximise son profit étant donné le prix de son concurrent.
Les profits s'écrivent de la manière suivante:
Les conditions de premier ordre impliquent l'annulation des dérivées premières :
L'équilibre en prix :
Nous cherchons:
En effet, nous pouvons calculer les demandes d'équilibre :
Donc le marché est couvert, tous les consommateur achètent le bien.
Nous pouvons calculer les profits d'équilibre :
Nous avons donc :
La firme qui produit la qualité la plus élevée est donc favorisée sur le marché.
Les profits sont croissants avec et pour nous avons :
L'absence de différenciation conduit donc à l'équilibre de Bertrand.
La différenciation de produit adoucit donc la concurrence en prix.
Nous pouvons maintenant nous intéresser aux choix de la première période concernant la qualité :
Les résultats du jeu en prix ont montré que :
Comme les profits de Bertrand sont nuls, les firmes préfèrent toujours différencier leur produit à l'équilibre.
Il existe néanmoins une indétermination quant à la firme qui va produire la qualité élevée car nous avons deux équilibres de Nash :
Si une firme avait la possibilité de choisir sa qualité avant son concurrent, elle choisirait la qualité haute et son concurrent choisirait de manière à adoucir la concurrence en prix.
Si n'était pas vérifiée la firme à qualité basse ne pourrait survivre sur le marché.
Dans ce cas les consommateurs n'ont pas un désir de variétés suffisamment forte pour soutenir l'existence de deux qualités différentes sur le marché. Une seule firme produisant la qualité haute existe alors.
Ce résultat est différent des modèles de différenciation horizontale car dans ces derniers tout segment du marché est équivalent (en termes de demande) à tout autre.
Quelque soit la variété produite, c'est le produit idéal d'un consommateur.
Dans un modèle de différenciation verticale, les consommateur n'acceptent d'acheter la qualité basse que si elle ne coûte pas trop cher.
Donc les deux segments (haut et bas) du marché ne sont pas équivalents.
Considérons une industrie produisant deux produits différenciés Pour simplifier l'analyse, nous négligerons les coûts de production. Les demandes inverses pour les deux variétés sont données par:
Il est possible d'inverser ce système pour calculer les fonctions de demandes
L'importance de la différenciation correspond à la faiblesse de l'interdépendance des demandes. La mesure suivante se base sur cette idée.
Quand les consommateurs pensent que les biens sont très différents, les fonctions de demande seront quasiment indépendantes Nous dirons alors que les variétés sont fortement différenciées.
Quand les consommateurs pensent que les deux vari étés sont très proches, l'effet-prix croisé sera de même importance que l'effet-prix propre ou ou . Nous dirons alors que les variétés sont quasiment homogènes. Nous pouvons représenter les différents degrés de différenciation grâce à une figure.
Pour connaître le résultat du duopole de Cournot, nous devons calculer l'équilibre de Nash en quantités. L'objectif de chaque firme est de maximiser son profit
Remarque : Nous avons donc Par conséquent, les quantités ne sont pas nécessairement des stratégies substituables. Quand la différenciation est très faible on retrouve le cas de Cournot habituel.
Mais quand la différenciation est forte, la nature de la concurrence dépend de la nature des deux variétés:
0 | (biens substituables) | |
(biens complémentaires) |
L'équilibre de Cournot est donc la solution du système d'équation
La différenciation adoucit donc la concurrence et améliore les profits des firmes. Cela explique par conséquent les choix de différenciation des firmes.
Le résultat de ce duopole correspond à l'équilibre de Nash en prix Les firmes maximisent leur profit
Remarque : De nouveau, la nature des stratégies des firmes dépend de la relation qui existent entre les deux biens. La relation entre la concurrence en prix et la nature des stratégies:
(biens subs.) | ||
(biens comp.) |
Nous supposerons dans ce qui suit que les biens sont substituables et donc que les stratégies de prix sont complémentaires (courbes de réaction croissantes).
L'équilibre de Nash en prix est la solution du système simultané
Les valeurs d'équilibre sont alors données par
Etant donné la différenciation de produits, quel est le duopole le plus favorable pour les consommateurs? Pour répondre à cette question nous devons comparer les prix d'équilibre dans les deux cas
La première partie de cette proposition vient du fait que les firmes produisent plus dans la concurrence de Bertrand que dans la concurrence de Cournot. En effet, dans le duopole de Cournot, chaque firme suppose que son concurrent va garder sa quantité constante et la firme prévoit clairement qu'une augmentation de l'offre va réduire le prix de marché. Cela freine alors l'expansion de la production.
Contairement, dans le duopole de Bertrand, chaque firme considère que le prix du concurrent est constant et donc il n'y a plus de frein à l'expansion de l'output. D'où une surproduction et une concurrence plus dure.
Quand la différenciation est très forte, on retrouve quasiment deux monopoles indépendants et les prix d'équilibre devient indentiques dans les deux cas (car l'équilibre de monopole ne dépend pas de la stratégie utilisée par la firme (le prix ou la quantité)).
Rappel : ces résultats sont obtenus sous l'hypothèse que les deux variétés sont des substituts.
Chamberlin (1933) a introduit un premier modèle qui étend le
modèle de concurrence parfaite en vue de tenir compte de la diffé
renciation de produit et donc de l'existence d'un pouvoir de marché.
Chamberlin analyse un marché où un grand nombre de firmes produisent
des substituts proches. Chaque firme produit une variété unique.
L'entrée est libre sur le marché.
Les firmes ont des courbes de coût moyen en
(coût fixe +
coût marginal croissant).
Quand la firme augmente son prix, elle ne perd pas la totalité de sa demande car la variété qu'elle produit possède des caracté ristiques uniques qui fidélisent les consommateur. Donc chaque firme fait face à une fonction de demande décroissante.
Chaque firme se comporte, face à sa courbe de demande, comme un monopole, en supposant qu'elle pourra modifier son prix sans que cela incite ses concurrents à la suivre : elle égalise donc ses recettes marginales à ses coûts marginaux pour déterminer le prix et la quantité optimale.
Ce raisonnement est en général justifié par le fait que si la firme baisse son prix, cette baisse n'aura qu'une répercussion très faible sur la demande de ses concurrents.
Si une firme fait des pertes, elle va quitter le marché et tant qu'il existe des profits positifs, de nouvelles firmes vont entrer. Chaque entrée n'aura qu'un impact négligeable sur les demandes et profits des firmes installées mais les entrées cumulées vont peser et chaque firme verra sa demande (résiduelle) tirée vers l'origine.
Ces caractéristiques justifie la dénomination de ce type de marché : Concurrence (car grand nombre de firmes et entrée libre) monopolistique (car chaque firme a le monopole de la variété qu'elle produit).
Quel va être alors l'équilibre de cet industrie?
A l'équilibre les firmes doivent faire des profits nuls sinon de nouvelles firmes entreraient. Dans ce cas, nous devons avoir la relation gé omètrique suivante entre la demande individuelle de chaque firme et sa courbe de coût moyen :
Si une partie de la demande était au dessus du coût moyen dans ce cas les firmes pourraient faire des profits positifs et cela provoquerait de nouvelles entrées. Le seul équilibre possible est celui repré senté sur la figure précédente.
Mais dans ce cas, avec une demande décroissante, le point de tangence ne peut s'effectuer au minimum du coût moyen (contrairement à la concurrence parfaite).
Par conséquent, la production d'équilibre est plus faible que l'échelle efficace et donc l'industrie ne minimise pas les coûts.
En somme, on a un équilibre avec capacités excé dentaires. Cela est souvent vu comme une preuve de l'inefficacité de cette structure de marché.
Naturellement il est beaucoup plus difficile de conclure quand on tient compte du fait que cet inefficacité en termes d'échelle de production permet à l'industrie de fournir un grand nombre de variétés (et donc d'améliorer le surplus des consommateurs).
Le caractéristique principale qui différencie ce modèle des modèles de localisation concerne le fait que chaque firme fait concurrence à toutes les autres et que l'impact de l'entrée d'une nouvelle firme se distribue sur toutes les firmes.
Dans les modèles de localisations ces effets ne jouent que sur les voisins les plus directs.
Cette dimension du modèle et celle qui pose le plus de problème dans son utilisation empirique.
(Cf. Dixit et Stiglitz (1977)- American Economic Review, 67, 297-308, pour une version plus moderne)
Nous allons clore ce chapitre en soulignant rapidement le rôle que peut jouer la publicité dans la différenciation de produit.
La publicité est une des dimensions importantes de la concurrence des firmes. Elle constitue dans les économies industrielles un secteur non-négligeable.
Deux visions contradictoire (mais aussi complémentaires) de la publicité co-existent parmi les économistes :
1. Vision positive
Dans cette optique, la publicité est vue comme un élément d'information qui facilite les choix rationnels des consommateurs en réduisant leur coût de recherche.
Elle réduit alors la fausse différenciation de produit qui proviendrait d'une méconnaissance des produits. De même, elle facilite l'entrée en permettant aux nouvelles firmes de s'approprier une partie de la demande des firmes installées. Elle doit aussi favoriser les firmes à qualités hautes qui ont plus d'incitation pour recourir à ce moyen pour faire connaître leurs produits.
2. Vision négative
Dans cette optique, la publicité apparaît comme un moyen de tromper les consommateur. Elle est alors la source d'une différenciation fictive (entre les lessives très similaires, par exemple). Dans ce cas, elle réduit la concurrence et elle facilite les barrières à l'entrée.
En fait ces deux visions sont complémentaires et la première vision décrit bien la publicité qu'on trouve dans les media spé cialisées (journaux régionaux, revues informatiques,...) où il est possible de décrire en détail les produits concernés.
La seconde vision correspond assez bien à la publicité que l'on trouve dans les media de masse et notamment la télévision où la publicité est surtout basée sur des slogans réussis et des images marquantes.
Le rôle de la publicité dépend donc des caractéristiques du marché étudié, du produit concerné et de la nature de la concurrence que se livrent les firmes.