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14.6 Les joies de la croissance endogène ou quand Keynes rencontre Schumpeter

Au delà des questions de convergence vers un équilibre statique, les MMA ont toute leur pertinence quand on s’intéresse à la dynamique de l’économie et à sa capacité à générer une croissance économique persistante, avec ou sans des périodes de crises. Depuis les années 80, notre vision de la croissance économique est dominée, à juste titre, par les mécanismes économiques qui peuvent générer une croissance soutenue, sans qu’on ait besoin de faire appel à un deus ex machina externe pour cela. On parle alors de la croissance endogène, dans le sens où le moteur de la croissance économique résulte de la structure même de l’économie et des comportements des agents qui la composent. L’un de ces moteurs qui a été mis en lumière dans la littérature, dès le travail fondateur de [Romer, 1987], est l’introduction de nouvelles technologies par des firmes dans une économie capitaliste de propriété privée.
[Aghion, 1992] donne, à notre avis, la version la plus pure de ce mécanisme, car la croissance économique est exclusivement générée par le progrès technique dans ce modèle (il n’y a pas de croissance démographique ou expansion de capital productif) et il s’inspire directement de certaines idées de Schumpeter [Schumpeter, 1935/1999, Schumpeter, 1942] quant aux propriétés du processus qui génère ces innovations technologiques et à leurs impacts sur l’économie (l’obsolescence des anciennes technologies et donc la destruction créatrice ; la nature aléatoire de nouvelles innovations ; le rôle des monopoles dans le financement des innovations, etc.). Pour étudier la dynamique de cette économie, ce modèle mobilise néanmoins les trois piliers de l’approche standard, conduisant à un cadre économique et à des comportements assez peu réalistes, et en somme assez fragiles : [Silverberg, 2002] montre ainsi que des agents hétérogènes, avec une rationalité procédurale basée sur un apprentissage social, ont beaucoup de mal à se coordonner suffisamment pour que puisse émerger une croissance économique dans ce cadre et souligne ainsi la nécessité d’institutions complémentaires (notamment financières pour le financement de la R&D), pour permettre à l’économie de générer un flux suffisant de nouvelles innovations pour assurer une croissance persistante. Quand on ne les suppose pas résolus par magie, les problèmes de coordination peuvent peser sur les dynamiques économiques.
[Silverberg, 2005] passe en revue certains des modèles évolutionnistes de la croissance. Leur travail fait clairement apparaître le rôle qui doit être joué par la diversité et la sélection dans la dynamique macroéconomique. Cet article montre que malgré la difficulté que nous éprouvons pour analyser cette dynamique dépendante au sentier - et donc nécessairement contingente- et pour en prévoir les résultats, les modèles évolutionnistes font apparaître que certaines “histoires” sont plus vraisemblables que d’autres, que certaines propriétés du système émergent de manière systématique (les lois de puissance du type Pareto-Zipf pour la distribution des variables clés comme la valeur des innovations, par exemple). Les régularités émergent non pas parce que le système a convergé vers un état régulier, mais parce que son évolution permanente génère ces régularités.
Les MMA macroéconomiques plus complets qui ont été développés dans les dix dernières années, prennent au sérieux les problèmes de coordination et des difficultés qu’ils peuvent générer dans les interactions entre les secteurs de l’économie. Le modèle-cadre K+S développé par [Dosi, 2010] est un modèle qui combine les enseignements des modèles de dynamiques industrielles que nous avons discutés dans le chapitre précédent avec un cadre macroéconomique et financier assez complet. La version initiale de ce modèle contient, autour d’un bloc d’innovations technologiques localisées dans le secteur des biens capitaux, un secteur produisant un bien final avec de la main d’oeuvre et des générations de biens capitaux acquis grâce à un comportement d’investissement, financé, notamment, par un secteur bancaire implicite, suivant des critères de type Bâle III. Un secteur public collecte des impôts avec lesquels il finance une assurance chômage pour les travailleurs. Même dans cette version initiale (nous évoquerons des versions successives et plus complètes de ce modèle dans les sections suivantes), ce modèle permet d’étudier les interactions entre les secteurs et de montrer que des mesures de politique d’offre de type schumpétérien (du coté des brevets et des régimes technologiques) seules ne sont pas suffisantes pour assurer une croissance économique et qu’elles doivent être combinées avec des politiques de demande de type keynésien (de type fiscal et de transfert, par exemple) pour que cette croissance puisse persister. En tant que MMA, le modèle a aussi l’avantage de pouvoir reproduire des faits stylisés à tous les niveaux (micro-méso-macro).
Des modèles MMA encore plus complets (et complexes), comme le modèle EURACE, permettant d’aller encore plus loin et d’étudier, par exemple, des interactions plus riches entre des secteurs et les régimes de croissance économique entre les régions européennes et le rôle potentiel des différents instruments de politiques économiques dans ce contexte riche [Deissenberg, 2008, Raberto, 2010].

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(c) Murat Yildizoglu, 2021-