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14.5 Des modèles DSGE aux MMA : nouveaux fondements pour les politiques monétaires?

Comme le souligne Jean-Claude Trichet ci-dessus, le recours à un seul modèle principal de l’économie, basé sur un cadre walrasien, même dynamique, même stochastique, même étendu avec des frictions néo-keynésiens, s’est avéré être une stratégie politique assez défectueuse pour prévenir la crise de 2008 et pour y faire face rapidement, en développant des politiques monétaires adéquates. Un modèle de l’économie basé sur les trois piliers de rationalité substantive, équilibre général et anticipations parfaites, étendus par une inertie des prix des firmes, ou autres frictions (celles financières ayant fait leur apparition principalement après la crise), s’est avéré assez impuissant pour comprendre et prévoir l’émergence des crises et leurs effets hétérogènes sur les agents (et potentiellement sources de nouvelles inégalités entre eux).
Même en restant très proche de la structure de l’économie adoptée par ces modèles DSGE néo–keynésiens (NK-DSGE), la prise en compte, dans un MMA, de l’apprentissage des agents, de leurs anticipations adaptatives et du rationnement sur les marchés, permet d’avoir une vision bien plus nuancée des dynamiques économiques et du pouvoir des politiques de stabilisation adoptées par les banquiers centraux, notamment par la BCE.
En partant de la structure canonique d’un modèle NK-DSGE à la [Woodford, 2003], [223] montre que l’émergence d’une coordination sur l’équilibre général de l’économie (celui du modèle initial) n’est pas assuré quand les décisions des agents sont guidées par un apprentissage social basé sur l’imitation et l’expérimentation. Sous les hypothèses technologiques adoptées dans le modèle de référence, la coordination vers l’équilibre est particulièrement difficile pour les firmes. On observe alors que ce problème des firmes résulte en fait de l’émergence de l’inégalité de revenus entre les ménages, cette inégalité conduisant à une insuffisance de la demande globale pour les firmes. Nous observons ici ainsi que l’équilibre est loin de prévaloir et que les interactions entre les marchés sont derrière cette difficulté. Concevoir des politiques sous l’hypothèse que l’économie est à l’équilibre tandis que les agents essaient en fait de faire face à leur environnement changeant du fait de leur apprentissage et interactions, ne peut que conduire vers des résultats assez fragiles.
En effet, quand on enrichit le modèle initial de manière à inclure dans les comportements des ménages des canaux (de consommation et d’anticipation) par lesquels le taux d’intérêt et le taux d’inflation peuvent influencer les dynamiques de l’économie, on arrive à voir les limites d’une politique monétaire aussi sophistiquée que le ciblage d’inflation, combiné avec une règle de Taylor très standard [224]. On voit alors que ce type de stratégie monétaire ne peut stabiliser l’économie que si la Banque centrale (BC) reste crédible en atteignant l’inflation ciblée mais qu’elle ne reste crédible que si elle atteint ce taux d’inflation. Ce cercle vertueux s’avère n’être possible que dans un environnement assez stable, comme pendant la période appelée la Grande Modération. A contrario, dans un environnement moins stable, avec plus d’hétérogénéité entre les comportements et les anticipations des agents et quand la pression inflationniste devient plus importante, la transparence de la BC peut miner sa crédibilité et, partant, l’efficacité de sa politique monétaire. Les vertus supposées de la transparence de la BC sont par conséquent loin d’être assurées dans un tel contexte et une communication plus restrictive peut s’avérer plus efficace.
Même dans ce cadre assez simple, l’adoption d’une approche MMA permet ainsi d’avoir une vision plus nuancée de l’efficacité de certaines stratégies monétaires, quand les anticipations des agents et leurs comportements ne sont pas supposés se structurer par les trois piliers de l’approche standard et l’hypothèse d’agent représentatif. Quand on adopte des MMA plus complet, avec un secteur financier, des innovations technologiques et des comportements d’investissement, on arrive à avoir une vision encore plus riche de l’impact potentiel de la politique monétaire» sur l’économie et à aborder d’autres aspects de la politique monétaire, comme le quantitative easing [Dawid, 2018].

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(c) Murat Yildizoglu, 2021-