L’approche de (Domar 1946) est devenu très populaire et résisté au temps du fait qu’elle était basée sur une prédiction très simple : la croissance du PIB dans cette période sera proportionnelle à la part de l’investissement dans le PIB dans la période précédente
(sans oublier qu’il doit s’agir de l’investissement net et non, brut comme l’ont utilisé pas mal d’économistes).
Cette approche a été conditionnée par le fait que Domar l’a développée après la Grande Dépression et il prenait l’existence du chômage comme une donnée. Alors le facteur limitant la croissance était le capital...
Les premiers économistes du développement des années 50 ont été très fortement influencés par deux évènements : la Grande Dépression et l’industrialisation de l’Union Soviétique basée sur l’épargne forcée et l’investissement. Cela a conditionné leur vision du développement où les machines étaient le facteur contraignant et l’accumulation rapide du capital physique, la panacée (Lewis 1954). Mais comment augmenter l’investissement quand le pays est très pauvre et l’épargne est déjà au maximum. Cette thèse soutient alors qu’il y a un déficit de financement (financing gap) et il suffit de le combler par l’aide extérieur pour que l’investissement nécessaire puisse avoir lieu. Et cela devrait donner ses fruits très rapidement. L’importance de l’étape de décollage dans la typologie de Rostow n’a fait que renforcer cette idée grâce à ses responsabilités administratives sous Eisenhower et la Guerre Froide. L’épargne nationale (incitée par l’Etat) devait se substituer très rapidement à l’aide extérieur pour financer l’investissement. Cette thèse de déficit de financement a persisté longtemps (après les années 1960-70 où elle était la thèse centrale) et on peut en trouver la trace dans certains rapports de la Banque Mondiale même à la fin des années 90. L’insuccès évident de cette thèse a rapidement imposé une autre : l’investissement est nécessaire mais pas suffisante !
Quand on teste cette thèse sur un échantillon de pays sur la période , seulement pays montrent une corrélation positive entre l’aide et l’investissement et, parmi ses dix sept pays, seulement six montrent un investissement qui augmente au moins proportionnellement à l’aide dont Hong Kong et la Chine qui ont reçu une aide très faible et quatre pays qui ont reçu une aide non-négligeable sur la période (Tunisie, Maroc, Malte et Sri Lanka).
Ces résultats fondent la thèse principale d’Easterly : tant qu’on n’a pas changé les incitations des agents économiques à investir plutôt que consommer, on ne peut favoriser la croissance. Il n’y a aucune raison que l’aide change en soi ces incitations et les agents se contentent alors de la consommer... L’aide aurait dû par conséquent être croissante avec l’épargne du pays. ce qui est l’exact contraire de l’approche en termes de déficit de financement qui favorise les pays avec une épargne faible ! De plus, une analyse économétrique sur 138 pays montre qu’une croissance de l’investissement n’est ni nécessaire, ni suffisante pour l’accélération de la croissance à court ou moyen terme.
[Exemple : le cas de Zambie, Figure 2.1 p.43]
Commentaires : Easterly a en fait une vision relativement angélique des préteurs tout au long de l’ouvrage. Il interroge les incitations des récepteurs de l’aide sans se poser la question de celles des préteurs. En effet, il ignore la question de savoir d’où va venir le support matériel de cet investissement (les machines) dans les pays pauvres. Or, cela explique peut-être pourquoi la thèse du déficit de financement a eu autant de succès malgré son inefficacité : en fournissant l’épargne, les pays riches avaient l’espoir de créer un marché pour les biens d’équipement qu’ils produisent. Ce qui constitue un bon argument pour convaincre les préteurs de fournir cette aide. C’est peut-être d’ailleurs l’inefficacité progressive de cet argument qui explique la baisse considérable de l’aide les deux dernières décennies...