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Comme nous l’avons déjà discuté, les modèles évolutionnistes mettent traditionnellement en avant la résolution de problèmes par les agents et l’apprentissage. Quand ces modèles concernent la dynamique industrielle, les innovations technologiques occupent le devant de la scène. Les forces qui conditionnent la génération de ces innovations jouent alors un rôle déterminant dans la dynamique industrielle. Les comportements des firmes (leur stratégie de R&D par exemple) font partie de ces forces mais leur analyse ne peut faire abstraction de l’environnement des firmes comme nous l’avons souligné ci-dessus. Plutôt qu’une causalité linéaire exclusive où l’innovation technologique détermine, sans équivoque, les structures organisationnelles et industrielle, nous devons considérer un processus de co-évolution où l’environnement résulte de cette innovation en même temps qu’il l’oriente et la conditionne. Les institutions de la société constituent une composante fondamentale de cet environnement (cf. [Nelson, 2002]).
Nous pouvons prendre l’exemple des normes sociales en vigueur quant à la définition de ce qu’est une «rentabilité satisfaisante» dans une industrie. En effet, une telle norme pourrait conditionner le comportement des firmes étant donné que leurs réactions à leur environnement pourraient dépendre d’une règle de satisficing basée sur cette norme : ne pas mettre en cause tant que la rentabilité obtenue n’est pas en-dessous de la rentabilité satisfaisante attendue dans cette industrie. Mais le résultat de ces comportements (la rentabilité dans chaque firme) va à son tour redéfinir le niveau satisfaisant de rentabilité au niveau de l’industrie et donc la norme sociale. On voit clairement dans cet exemple simple que l’évolution de l’industrie ne peut être seulement déduite des comportements individuels des firmes étant donné que ces comportements dépendent de la norme sociale qui appartient au niveau supérieur du système (niveau de l’industrie ou voire, celui de l’économie globale).
La compréhension du rôle que jouent les institutions doit alors tenir compte de leurs conséquences sur les phénomènes microscopiques au niveau des firmes. L’approche par les Systèmes Nationaux d’Innovation (cf.[Nelson, 1993]) met ainsi l’accent sur le rôle joué par les institutions dans la dynamique technologique au niveau de la nation et, au delà, dans la dynamique économique. La causalité descendante, allant des institutions vers les comportements des agents, ne doit pas être négligée dans la construction des fondements microéconomiques.
De manière symétrique, la compréhension de la dynamique micro-économique peut apporter un éclairage en retour sur l’émergence des institutions. En effet, comme nous l’avons souligné ci-dessus, les routines jouent un rôle multiple au sein des organisations. Elles sont le lieu de cristallisation des connaissances de l’organisation, mais elles donnent aussi forme à la trêve sociale ([Nelson, 1982]) qui caractérise la gouvernance de l’organisation et l’articulation des conflits d’intérêt et des incitations ([Coriat, 1998]). Comme le souligne [Coriat, 1998] :
As we see it, the aggregate functional and institutional regularities could possibly be shown to be emergent properties of underlying, explicitly micro-founded, evolutionary models, appropriately enriched in their institutional specifications. (p.15)
Le modèle évolutionniste peut, par exemple, montrer sous quelles conditions d’apprentissage et de sélection une régularité agrégée comme la loi de Kaldor-Verdoorn pourrait émerger en tant que propriété stable de la dynamique économique.
Une vision un peu plus extrême a parfois tendance à réduire les institutions à des «technologies sociales» (cf.[Nelson, 2001] et [Nelson, 2002]), résultant de même type de processus que les technologies de production mais à un niveau plus élevé dans le système, avec une intégration plus importante avec d’autres dimensions sociales (culturelles, politiques, etc.). Le concept de paradigme technico-économique de [Freeman, 1988] correspond par exemple à une tentative de ce type qui cherche à étendre le concept de paradigme technologique de [Dosi, 1982]. Malgré l’unification relativement séduisante qu’elle propose pour la dynamique sociale, cette démarche nous paraît être une source potentielle de confusion, dans la mesure où elle procède par un réductionnisme fort, pouvant conduire à des difficultés dans l’analyse de l’articulation des mécanismes de niveaux différents.
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