L’annulation ou du moins, le soulagement, des dettes des pays les plus pauvres n’est pas une idée neuve. Elle est à l’ordre du jour des organismes internationaux depuis au moins 1979, où la BM notait dans ses Tableaux Mondiaux de Dettes des retards de remboursement pour certains pays malgré le fait qu’une indulgence relative avait allégé le fardeau de certains de ces pays. Les réunions de CNUCED de 1977 à 1979 ont pardonné six Milliards de dollars de dettes à quarante cinq pays pauvres (sous la forme de suppression des paiements d’intérêt ou du rééchelonnement de la dette ou des aides locaux diverses). Les divers rapports Afrique de la BM de 1981 à 1991 ont souligné, de manière de plus en plus insistante, la nécessité d’un soulagement du poids de la dette.
Le sommet de Venise du G7 en 1987 a appelé pour un soulagement des
paiements d’intérêt pour les pays à faible revenu. En 1988, le sommet de
Toronto a mis en place un ensemble d’options dans ce but : annulation
partielle, recul du terme de la dettes, abaissement des taux d’intérêt...
Parallèlement, pour aider les pays pauvres d’Afrique, la BM a mis en
place un Programme Spéciale d’Assistance (PSA) et le FMI a complété ce
PSA par une Facilité Renforcée d’Ajustement Structurel (FRAS). Ces
programmes de soulagement ont été suivi par deux décennies de mesures
de réduction de dette de plus en plus audacieux : les rencontres du G7
(1990 Houston, 1991 Londres), les réunions du Club de Paris (l’union
des principaux pays préteurs - Novembre 1993, Décembre 1994). Ces
efforts ont culminé dans l’annonce en septembre 1996 par la BM et le FMI
de l’Initiative de Dette pour les pays les plus endettés qui permettait
les pays les plus pauvres de quitter une fois pour toutes le processus de
rééchelonnement des dettes et de résumer des relations normales avec la
communauté financière internationale. En même temps le Club de Paris a fourni
une réduction de dettes de . Par ailleurs, une forme plus implicite de
réduction de dette était présente pendant toute cette décennie sous la
forme d’une substitution de dettes à faible taux aux dettes au taux du
marché.
A la fin de ces deux décennies, nous nous sommes trouvés avec un large groupe de pays qui sont toujours définis comme étant hautement endettés, et cela, malgré les concessions et les allègement des dettes. Le soulagement visé n’a pas vraiment fonctionné et les nouvelles dettes ont remplacé les anciennes. Que s’est-il passé, où sont allés les allégements ?
Une dette élevé peut persister car les gouvernements irresponsables ne deviennent pas responsables par magie après le soulagement de la dette. On ne peut voir la dette des pays pauvres comme un désastre naturel qui leur est tombé dessus par malchance.
Commentaire : A nouveau ici Easterly se concentre exclusivement sur la responsabilité des emprunteurs. Le tableau global est probablement encore plus compliqué que cela et ceci explique sûrement pourquoi des réductions de dettes ont attiré autant de partisans au sein des organismes internationaux et des gouvernements des pays riches. Il semble que l’auteur se refuse à considérer la responsabilité et les incitations des pays préteurs (sauf de manière très accessoire).
Par gouvernement irresponsable il faudrait comprendre un gouvernement qui est prêt à emprunter lourdement en vue d’augmenter la niveau de vie de la génération actuelle (électeurs potentiels du gouvernement) même si cela hypothèque le niveau de vie des générations futures.
A partir de l’analyse exposée dans la section sur le chapitre 6, il est assez
facile de tester cette constatation. Il suffit de prendre pour cela des données des
Tables Mondiales de Dette de la BM pour pays les plus endettés. Ces données
remontent le temps jusqu’à 1989. Sur la période
le montant de
dettes annulées pour ces pays est de
Milliards de dollars tandis que les
emprunts ont atteint
Milliards de dollars. Ainsi le soulagement de dette
semble compensé par autant de nouvelles dettes ! De manière encore plus
paradoxale, les emprunts nouveaux étaient encore plus importants pour les pays
qui ont bénéficié du plus fort soulagement de la dette. Il y a par conséquent une
relation statistique significative entre le soulagement moyen de la dette
(en % du PIB) et l’endettement net supplémentaire (en % du PIB). La
quasi-totalité des stratégies considérées dans la section sur le chapitre 6 semble
avoir été utilisée de manière croissante par les pays qui ont bénéficié de
l’allègement de la dette. Et, en définitive, dans ces pays les plus pauvres, on
observe une baisse du PIB/tête entre 1979 et 1998. Le soulagement de la
dette ne semble par conséquent pas avoir profité à la croissance, bien au
contraire.
Mais quelle a été la justification de ces prêts supplémentaires à ces débiteurs insolvables ?
Oui, le déficit de financement, défini cette fois-ci comme la différence entre le
besoin de financement dans la balance des paiements extérieurs et le financement
privé disponible (et non celle entre l’investissement nécessaire et l’épargne) a
été à nouveau l’argument pour justifier ces prêts supplémentaires. Le
besoin de financement dont nous parlons est égal à la somme du déficit du
commerce extérieur, les paiements d’intérêt sur l’ancienne dette et le paiement
de la dette arrivée à terme. Si l’on comble ce déficit de financement, on
concède donc des prêts avec des termes avantageux à des pays qui ont un
large déficit de la balance commerciale, une dette courante élevée et une
capacité de financement privé faible. Cela ne peut récompenser que les
gouvernements irresponsables qui ne se dont pas les moyens de résoudre
ces problèmes. Une autre conséquence logique de cette démarche est un
effet d’éviction : la dette extérieur vient se substituer et donc chasser le
financement privé interne, conduisant à une spirale d’endettement où les
pays ne peuvent construire une capacité de financement interne. Comme
le soulagement nécessaire de la dette est aussi calculé par comparaison
avec ce besoin de financement, les gouvernements irresponsables et leur
préteurs non moins irresponsables finissent par être acquittés par un simple
effacement de toutes les dettes. Tout est bien qui finit bien ... et on peut
recommencer une nouvelle tournée d’endettement en consacrant les ressources
dédiées au soutien des PVD à ces pays qui se distinguent surtout par
leur capacité à détourner la dette de la croissance. Ainsi, en 1997, ces
pays ont reçu de toutes les ressources dédiées aux pays pauvres
malgré le fait qu’il regroupent seulement
de la population totale
visée.
Nous pouvons conclure de ces observations qu’un programme de soulagement de la dette ne peut avoir une utilité quelconque que si deux conditions sont vérifiées :
La dernière partie de l’ouvrage discute les éléments qui conditionnent la croissance et elle s’inspire fortement des théories de croissance endogène, en réservant une place privilégiée aux éléments structurels tels que les politiques publics, la corruption et la polarisation (ethniques et économiques) dans les sociétés.