Année 1999-2000
IntroductionI. Une première approche de l’extension du commerce et la croissance.1. Observations2. CommentairesII. Le commerce mondial : moteur de la croissance pour certains…1. Les pays développés2. L’exemple de la FranceIII. …mais un frein important pour d’autres.1. Les Nouveaux Pays Industrialisés2. L’Afrique mal en point3. Le cas de la Côte d’Ivoire et l’incidence négative de l’extension du commerce international sur la croissanceConclusion
L’histoire économique des pays industrialisés avancés accorde le plus souvent une large place aux échanges internationaux pour expliquer la croissance et le développement depuis plus de deux siècles. On souligne alors l’importance du « commerce international » pour l’Angleterre et la France, ou celle du libre-échange au XIXe siècle et, plus tard, le rôle de la libéralisation des échanges opérée par les accords du GATT après la dernière guerre mondiale et celui du Marché Commun dans les trente années de croissance qu’ont connues les pays occidentaux.
Mais assez curieusement, ce rôle du commerce international dans la croissance est, sinon méconnu, du moins minimisé par les grandes théories économiques, lorsqu’il n’est pas au contraire exagérément grossi au point de devenir, comme le soutiennent les théoriciens de la dépendance, le facteur principal de la croissance des pays industrialisés et, symétriquement, la cause même du développement des pays du Tiers-Monde.
Pour éclairer le débat entre commerce international et croissance, nous verrons tout d’abord si il y a corrélation entre ces deux termes au niveau mondial.
Ensuite, on pourra se demander si la corrélation observée est générale. Peut-on prouver qu’elle concerne tous les pays qui depuis deux siècles sont entrés, de gré ou de force, dans le jeu des relations économiques internationales et dans la croissance ? Mais il nous importe surtout de savoir si elle subsiste encore aujourd’hui pour les pays ayant atteint un haut niveau de développement et si elle n’a jamais existé pour les pays en voie de développement.
Dans les deuxième et troisième parties, nous présenterons avant tout le faisceau de liens qu unit l’extension du commerce international et la croissance en nous basant sur des faits, avec en premier lieu les pays développés et l’exemple de la France, et en second lieu la diversité des situations dans les pays du Tiers-Monde avec le cas des Nouveaux Pays Industrialisés et de la Côte d’Ivoire.
En guise de conclusion, nous ferons une comparaison entre les effets du protectionnisme et du libre-échange sur la croissance.
I. Une première approche de l’extension du commerce et de la croissance.
1. Observations
Lorsque l’on a à traiter de deux sujets aussi vastes que la croissance et le commerce international, il est tout d’abord important de confronter des données mondiales sur ces deux indices et d’en tirer les premières conclusions.
D’après ces deux graphiques sur la croissance du commerce mondial et sur la croissance du PIB mondial en volume, nous constatons que, sur la période 1970-1993, les phases d’expansion et de récession correspondent, même si cela se passe à une échelle différente.
Ainsi, les phases d’expansion du commerce international, même si elles sont plus prononcées, coïncident à des phases d’expansion de la croissance, et pareillement pour les phases de récession (on remarque très facilement sur les deux graphiques les deux chocs pétroliers de 1973 et de 1979).
L’histoire économique a été marquée depuis le milieu du XIXe siècle par une succession de longues phases d’expansion et de récession de la croissance et des échanges internationaux. Sans négliger les autres causes de développement économique telles que l’accumulation du capital ou le progrès technique, ce phénomène historique est suffisamment net pour inciter à penser que le développement des échanges représente une des conditions essentielles de la croissance économique.
De 1840 à 1870, on relève une rapide expansion du commerce international, marquée par un taux de accroissement moyen de 5,5 %, et de la production industrielle des principaux pays, Royaume-Uni, France, Allemagne, Etats-Unis. Cette période est suivie, de 1870 à 1890, d’un fort ralentissement des échanges qui n’augmentent plus que de 2,2 % par an et qui s’accompagne d’un taux de croissance nettement plus faible au Royaume-Uni, en France et en Allemagne. Le phénomène est beaucoup moins net aux Etats-Unis.
La longue période de prospérité qui s’étend de 1890 à 1913 est, elle aussi, caractérisée par une forte expansion du commerce mondial (+3,7 %). Elle est suivie dans l’entre-deux-guerres par une période aux caractéristiques inverses. Par la suite, la libéralisation des échanges commerciaux et des paiements internationaux depuis la deuxième guerre mondiale s’est traduite par une très forte expansion du commerce (+7,3 % par an) et une croissance très soutenue jusqu’en 1971.
Enfin, les années soixante-dix ont connu un fort ralentissement de la croissance des pays développés et une évolution moins défavorable des échanges mondiaux puisqu’ils ont continué à croître de 1971 à 1980 au rythme de 5,8 % par an. Ce n’est qu’à partir du début de la décennie suivante, avec l’approfondissement et la généralisation de la « crise » que le commerce mondial s’est ralenti et qu’il a même commencé à décroître en volume.
2. Commentaires
De ce bref historique, on peut retirer l’idée que les phases de croissance coïncident assez bien avec les phases de fort développement du commerce international : 1840-1870, 1890-1913 et 1948-1971.
Dans les phases de relative stagnation du commerce, la croissance a souvent augmenté plus vite que les échanges internationaux. On pourrait en conclure qu’une croissance économique satisfaisante pourrait être atteinte indépendamment du développement des échanges extérieurs.
Mais il s’agit là d’une vision tronquée de la réalité, car s’il est vrai que la stagnation du commerce international n’a pas, à certaines périodes, empêché toute expansion de la production, il faut bien voir que dans l’ensemble, les taux de croissance ont été, au cours de ces phases, nettement plus modestes que ceux enregistrés lorsque le commerce extérieur s’accroissait à un rythme plus soutenu.
Pour les économistes de l’Organisation du Commerce Mondial (OMC), « l’essor du commerce international est le facteur essentiel de la croissance ». On estime à près de 800 milliards de dollars par an, dès 2002, les profits engendrés par le libre-échange. Ces économistes se basent sur la prospérité sans précédent qui a caractérisé la période 1950-1973 où les échanges suivaient une forte expansion.
II . Le commerce mondial : moteur de la croissance pour certains…
1. Les pays développés
L’examen de l’évolution comparée des échanges extérieurs des nations industrialisées et de leur croissance permet de présenter l’importance de la libéralisation du commerce international dans la croissance de ces pays.
Pendant la période de 1960-1973, le classement des pays développés selon le taux de croissance du PIB reflète presque parfaitement l’évolution du volume de leurs exportations. Le Japon a, entre ces deux dates, multiplié ses exportations par plus de sept et son PIB par 3,6. On trouve ensuite les pays de l’ancienne CEE à six, dont les exportations ont été multipliées par un coefficient situé selon les pays entre 3 (Allemagne) et 4 (Italie) et le PIB par 1,8 (Allemagne) et 2,1 pour la France ; et enfin les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Ce dernier pays, dont la croissance du PIB a été le plus le plus faible sur la période considérée, est aussi celui dont le volume des exportations s’est accru le moins.
Pour la période 1974-1982, on retrouve la même corrélation et à peu près le même classement.
Enfin, les chiffres de la période 1982-1988 confirment les observations précédentes en les radicalisant. Les trois pays plus directement comparables à la France, par la taille et les conditions économiques (l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni) ont combiné une croissance plus forte du volume des exportations et du PIB. Là encore se révèle une forte corrélation positive entre l’effort d’exportation et le revenu.
2. L’exemple de la France
La première conséquence de cette intensification des relations économiques internationales est la place croissante qu’occupent les exportations dans les débouchés offerts aux productions nationales. Il suffit pour le vérifier de considérer quelques grands pays européens. Dès 1960, l’Allemagne de l’Ouest exportait 19 % de sa production de biens et de services. En 1993, ce taux était de 33,8 %. Sur la même période, la part de la production exportée est passée de 13 à 21 % en Italie, de 20,9 à 26,1 % au Royaume-Uni et de 14,5 à 22,9 % en France. Dans l’ensemble des pays de l’Union européenne, près de 30 % de la richesse produite par les économies des Etats membres est valorisée sur des marchés étrangers.
Ces statistiques sont cependant trop générales pour apprécier l’importance acquise par les exportations dans le dynamisme des économies occidentales. Limitons l’analyse au cas de la France, quatrième puissance pour le PIB, quatrième exportateur mondial de marchandises et deuxième pour les services.
Comme le dit Jean-Yves Carfantan dans L’épreuve de la mondialisation : « La palette d’activités concernées par les débouchés offerts à l’étranger est impressionnante. »
Puissance agricole, la France compte aujourd’hui parmi les grands fournisseurs de grains et de produits alimentaires élaborés. Sur les quelques 60 millions de tonnes qu’atteint désormais la récolte nationale de céréales, près de 30 millions sont écoulés dans les autres pays de l’Union Européenne et hors des frontières de la Communauté, soit la moitié de la récolte.
La viticulture française et les industries qui transforment ses productions fournissent 65 millions d’hectolitres de vin et boissons alcoolisées. Un hectolitre sur six est écoulé et consommé hors des frontières nationales. Les marchés européens étant désormais saturés, c’est aux Etats-Unis, au Japon , à Taïwan ou en Corée que les producteurs de Champagne ou de Cognac valorisent leur production.
La France est le premier pays producteur de sucre de l’Europe des Quinze. Les exportations absorbent, ici encore, la moitié de la production nationale.
Le cas de la France décrit bien l’importance de la libéralisation du commerce dans l’accélération de la croissance.
Ce qu’il y a encore de plus marquant, c’est qu’au total, sur 10 actifs employés en France aujourd’hui, 3 à 4 (selon les années) travaillent pour l’exportation, d’où une part importante de la population qui repose sur le commerce international.
Des grains au sucre, en passant par l’industrie laitière, les corps gras ou la viande, le tiers des emplois agricoles et agroalimentaires dépend des exportations. Cette dépendance concerne un emploi sur deux dans les industries manufacturières.
Arrêtons nous sur un exemple : l’industrie aéronautique nationale constitue un vaste réseau d’acteurs interdépendants. Près de 200 entreprises employant 130 000 personnes se répartissent ici entre les différents segments de production : avions, missiles, propulseurs et équipementiers. Autour de ce noyau central gravitent 4 000 entreprises de sous-traitance. En amont de la production aéronautique, de nombreuses industries fournissent constructeurs et équipementiers : aciers, alliages, pneumatiques, services. En 1993, l’ensemble de la filière d’activités ainsi constituée aura exportée 50 % de sa production et contribué de façon décisive à l’excédent commercial français à raison de 30 milliards de francs). A l’intérieur de la filière, ce sont les constructeurs (Dassault, Matra, Airbus…) qui sont les plus dépendants des ventes à l’étranger : 80 % de leur chiffre d’affaires est réalisé hors de nos frontières. Quel serait alors le coût de l’arrêt du commerce international pour les pays occidentaux et pour leur croissance : un désastre !
La seconde conséquence du dynamisme de l’extension du commerce mondial est l’ouverture croissante des marchés nationaux aux biens et services fournis par l’étranger, cause d’une accélération de la croissance pour les pays importateurs. Ici encore, l’exemple de la France permet de mesurer le chemin parcouru en trente ans. Au début des années soixante, les français faisaient déjà appel à des produits ou des services étrangers. Les importations représentaient alors 12,4 % de la demande intérieure. Ce taux atteignait, en moyenne, près de 23 % en 1993. En d’autres termes, si d’aventure les circuits d’importations venaient à être paralysés, ce sont des dizaines d’entrepôts, d’usines, de plate forme de stockage de matières premières et de carburants qui disparaîtraient. L’ensemble de l’activité économique serait alors fortement perturbée, impliquant une chute brutale de la croissance.
Que ce soit les importations ou les exportations françaises, chacune a un rôle prépondérant dans l’intensification de la croissance.
III. … Mais un frein pour d’autres
Cependant l’évolution du commerce international corrélée, à celle du PIB, est très diverse selon les régions du Monde et encore plus suivant les pays. Globalement les exportations des pays occidentaux industrialisés ont eu tendance à progresser sensiblement plus rapidement que ceux du tiers-Monde, mais cet écart s’est fortement atténué entre 1980 et 1992. En fait, cette réduction provient du dynamisme commercial des pays asiatiques.
Dans l’ensemble, le Tiers-Monde n’assure guère plus de 20 % du commerce mondial.
Toutefois, la part des produits manufacturés dans les exportations du Tiers-Monde augmente au rythme de 6,3 % par an, contre 2,7 % pour les produits agricoles alors que les exportations de produits miniers diminuent. Les produits manufacturés représentent aujourd’hui environ la moitié des exportations hors pétrole du Tiers-Monde, avec cependant d’importantes différences entre régions. Ainsi, il ne faudrait pas imaginer que cette évolution soit générale : on peut donc de parler des Tiers-Monde.
1. les Nouveaux Pays Industrialisés
Les quatre cinquièmes des exportations de produits manufacturés du Tiers-Monde sont le fait des NPI. En Corée du Sud, les exportations de produits manufacturés représentent 96 % des exportations et au Brésil, 73 %.
Ainsi, tous les pays d’Asie de l’Est qui sont parvenus à développer une stratégie d’exportation de produits manufacturés connaissent, depuis le milieu des années 80, une croissance particulièrement forte. Ils constituent, jusqu’à la crise asiatique, le pôle le plus dynamique de l’économie mondiale. Plus encore, cet ensemble est devenu une source de croissance autonome. Ainsi, de 1973 à 1979, le PIB coréen augmente au rythme annuel moyen de 9,26 %. Sur la même période, la croissance est de 3,2 % par an dans les pays de l’OCDE. Déjà, les pays de la « première vague », c’est à dire Taiwan, Singapour, Hongkong et la Corée du Sud, atteignent des niveaux de PIB par habitant comparables à ceux des pays du Sud de l’Europe. La Corée du Sud a rattrapé de ce point de vue le Portugal ou la Grèce, le PIB par habitant étant voisin de celui du Kenya au début des années soixante.
Aujourd’hui et malgré la catastrophe économique des années 90, d’autres états d’Asie de l’Est, comme la Malaisie devraient avoir réduit les écarts avec les pays développés.
Cette montée en puissance est d’abord liée à l’augmentation des exportations de produits manufacturés. En 1970, les pays d’Asie du Sud-Est occupaient une place insignifiante sur les marchés de produits manufacturés (moins de 4 % des exportations). Désormais, en valeur, les exportations de la zone sont comparables à celles d’un pays comme l’Allemagne.
En outre, sur quelques grands marchés internationaux de produits manufacturés, les Nouveaux Pays Industrialisés d’Asie occupent une place dominante. Ils fournissaient 43 % des exportations mondiales de produits textiles et vêtements en 1994 et assuraient plus de 35 % des ventes de machines de bureau et d’équipements de télécommunication.
2. L’Afrique mal en point
L’appauvrissement qu’a connu l’Afrique au cours des dernières décennies prend tout son relief lorsque l’on regarde sa croissance ou plutôt le recul de sa croissance. En effet, le PIB par tête avait diminué de 0,5 % par an en moyenne de 1981 à 1989, il a encore diminué de plus de 1 % par an entre 1990 et 1994 par rapport aux années précédentes.
Les données macro-économiques des années récentes offrent pourtant une vision qui pourrait sembler plus rassurante. La croissance a repris : 4,3 % en moyenne de 1995 à 1997 (contre 1,6 % en moyenne de 1990 à 1994), la croissance par tête passant dans le même temps d’un appauvrissement à des gains de 1,8 %. En revanche, si les importations ont continué de croître ( +11 % en volume) comme dans l’ensemble du monde, le volume des exportations n’a augmenté que de 4,5 % en 1997. Ainsi, la récente reprise de la croissance de la région, notamment les pays d’Afrique Australe et quelques pays de la zone franc, permet des gains de croissance. Mais ces gains sont loin de compenser la situation calamiteuse de la quasi-totalité de cas pays.
Contrairement aux autres pays du Sud qui ont pu modifié leur spécialisation et exporter des produits manufacturés, la question du prix des matières premières est vitale pour l’Afrique. En effet, la plupart de ces pays repose sur un développement dépendant de l’exportation d’un ou de quelques produits primaires. Le maintien d’une partie des pays sous-développés dans l’ancienne Division Internationale a des conséquences négatives sur sa croissance en raison de la détérioration des termes de l’échange. Le commerce entre pays industrialisés et Tiers-Monde aboutit à la dégradation des termes de l’échange pour les pays en développement, car le prix des produits manufacturés exportés par les pays développés augmente plus vite que le prix des produits primaires exportés par les pays du Tiers-Monde.
Dans ces conditions, le véritable problème des pays en voie de développement exportateurs de produits primaires n’est pas de se battre pour une accessible stabilisation des prix, il est de sortir du piège d’une spécialisation héritée de l’époque coloniale, qui constitue l’un des facteurs les plus puissants de blocage de leur développement et donc de leur croissance.
Nous distinguerons trois de groupes de pays où la situation économique est plus ou mois grave :
· Les pays disposant d’une rente pétrolière.
· La deuxième catégorie comprend donc des pays qui ont exploité à des fins d’exportation d’importantes ressources naturelles : café, cacao… Au cours des années soixante-dix, les ressources issues de ces produits exportés ont permis de financer tout à la fois l’essentiel des investissements et les besoins de fonctionnement de l’appareil d’Etat, et ont par la même rendu possible l’ascension de la croissance. A partir du début des années quatre-vingt (comme nous le verrons pour la Côte d’Ivoire), le ralentissement de la demande extérieure, l’évolution défavorable des termes de l’échange, l’épuisement de centaines capacités productives n’ont plus permis au surplus primaire de financer les dépenses publiques. Pour maintenir ces dernières, l’appel au financement extérieur a entraîné une forte croissance de l’endettement et a mis un terme à l’accroissement du PIB.
· La situation apparaît encore plus grave pour toute une série de pays aux ressources faibles ou peu valorisés (Madagascar, Ouganda, Soudan, Tchad…). La baisse des recettes liées à l’exportation de produits traditionnelles combinée à la croissance des importations alimentaires issues des insuffisances de l’agriculture entraînent de sérieuses difficultés de balance de paiements. Ces difficultés de financement des importations de produits intermédiaires et de biens essentiels, par les goulots d’étranglement qu’elles entraînent, aggravent la crise des secteurs agricoles et industriels et diminuent d’autant les possibilités d’exportation. Ainsi se déroule un processus cumulatif à la baisse.
3. Le cas de la Côte d’Ivoire et l’incidence négative de l’extension du commerce international sur la croissance
La Côte d’Ivoire était présentée dans les années soixante-dix comme l’exemple même d’une possible industrialisation de l’Afrique Noire. Et c’était justifié, dans la mesure où ce pays avait obtenu un taux de croissance moyen de 6,8 % entre 1965 et 1980. Mais avec une croissance moyenne de 0,5 % par an durant les années quatre-vingt, et même un recul de 2 % en 1991, le miracle économique fait désormais partie du passé.
Comme le remarque Philippe Chalmin dans le Monde le 30 juin 1992, l’image « qui colle à la peau » pour la Côte d’Ivoire est celle du cacaoyer. Le cacao demeure en effet la principale ressource économique ivoirienne et représente encore près de la moitié de ses recettes à l’exportation (62 % avec le café et les fruits en 1990). Si l’on accepte le chiffre officiel de quelques 2 millions de planteurs (pour 13 millions d’habitants), ce sont presque tous les foyers ivoiriens qui de près ou de loin ont une plantation.
Commencée dans les années soixante, la montée en puissance de la production ivoirienne a culminé dans les années 80 avec, dans le courant de cette décennie, un doublement de la production dont le potentiel dépasse maintenant les 800 000 tonnes.
Sept années d’excédents mondiaux ont, à partir de 1985, provoqué un effondrement des cours qui se trouvaient en 1987 au niveau de 1972. Pour la campagne 1991-1992, le cacao ivoirien revient à 610 francs le quintal alors que la cotation des marchés est de 525 francs, dans une ambiance baissière. Le cacao paie donc de moins en moins bien le planteur qui a vu son revenu diminuer de moitié en trois ans.
Le commerce extérieur ivoirien, très actif, représente près de 35 % du PNB en 1992 et, lorsqu’il y a une chute du produit principalement exporté par ce pays, cela provoque un marasme de l’économie et une détérioration de la croissance.
Contrairement à ses engagements vis-à-vis du FMI, la Côte d’Ivoire était très en retard dans son programme de vente. Elle devait mettre sur le marché dans les mois qui suivaient quelques 250 000 tonnes qui allaient pesé encore sur les cours. En 1992–1993, la production ivoirienne était aussi bonne, sinon meilleure que la précédente, et il y avait peu de chance que les cours mondiaux remontent : le PNB du pays risquait donc encore de reculer cette année, après une baisse de 2 % en 1991. Le « miracle du cacao » ne parvient plus à cacher l’absence de toute autre forme de développement économique, au moins dans le domaine industriel.
Globalement la situation des pays du Tiers-Monde dans le commerce mondial est très variable. Pour ceux qui restent encore largement tributaires des exportations primaires, tels les pays d’Afrique Subsaharienne, la situation est défavorable car les pays développés n’augmentent guère leurs importations tant en raison de la récession, que pour des raisons structurelles. Toute tentative de leur part pour augmenter leur production et leurs exportations se traduit par une baisse des prix, ce qui n’est profitable pas pour leur croissance.
Ainsi, peut on se demander, à la vue des résultats contrastés de l’impact du commerce international sur les différents pays, quel est le choix le plus favorable à la croissance entre l’ouverture aux échanges extérieurs et le protectionnisme ?
Ce choix n’en est pas véritablement un. Il est, en réalité, plus ou moins imposé, non pas par les pays capitalistes développés, mais par la situation propre du pays : la taille de son marché et son stade d’industrialisation. De plus, ce choix ne peut pas être totalement exclusif ; même les pays les plus extravertis, comme le Japon, ont édicté des mesures de protection contre la pénétration étrangère sur leur marché intérieur.
Tout est affaire de dosage. Les vertus du protectionnisme disparaissent quand la protection perd sa justification économique et sous prétexte de remplacement des importations, se transforme en protection généralisée de l’industrie manufacturière. Une telle dérive a connu une grande ferveur en Amérique Latine au lendemain de la guerre.
L’analyse des résultats économiques montre que les pays qui ont suivi une politique de substitution des importations (cas de l’Argentine et de l’Inde, par exemple, jusqu’à une certaine époque récente) non seulement ont connu une croissance moins durable, mais se sont montrés plus vulnérables en cas de choc extérieur.
Les économies les plus extraverties misant sur une stratégie de compétitivité internationale ont mieux résisté à la récession économique du milieu des années 1970 et à celle du début des années 1980. Elles ont fait l’effort d’adaptation nécessaire : « la concurrence est l’école du courage » (Thomas Coutrot). Les résultats à long terme sont d’ailleurs sans équivoque, comme le montre bien le tableau, qui classe les performances économiques des principaux pays en développement selon le degré d’ouverture de leur économie. Plus l’économie est ouverte, plus son taux de croissance est élevé : ainsi, sur l’ensemble de la période 1960-1980, seuls les pays dont le ratio « exportations de marchandises / PIB » avoisine au moins 20 % ont eu, en moyenne, des performances de croissance comparables, voire supérieures à celles des pays occidentaux.
Le commerce international est donc l’un des principaux moteurs de la croissance économique.
Croissance économique et commerce international, 1960-1980
Groupe de pays |
Croissance économique, Accroissement du PIB réel par tête (moyenne annuelle, %) 1960-1980 |
Degré d’ouverture extérieure, (exportations/PIB, %) 1960-1980 |
Effort d’exportation, Taux d’accroissement des exportations (moyenne annuelle, %) 1960-1980 |
1er quart (a) |
3,5 |
24,6 |
10,0 |
2ème quart (b) |
2,7 |
18,6 |
9,1 |
3ème quart (c) |
1,7 |
10,9 |
7,2 |
4ème quart (d) |
0,3 |
11,1 |
5,2 |
Pays classés par ordre décroissant de progression du PIB par tête entre 1960 et 1980.
(a). Corée du Sud, Taïwan, Irak, Brésil, Thaïlande, Malaisie, Nigeria, Indonésie, Egypte, Turquie.
(b). Iran, Algérie, Colombie, Pakistan, Philippines, Kenya, Mexique, Côte d’Ivoire.
(c). Maroc, Sri Lanka, Argentine, Tanzanie, Chili, Inde, Ethiopie, Birmanie, Pérou.
(d). Zimbabwe, Zambie, Zaïre, Népal, Mozambique, Soudan, Ouganda, Ghana, Afghanistan.
Source : Etabli d’après Reynolds, L.G., Londres 1985, pp. 390 à 411.
· « La mondialisation », Jean-Pierre Paulet, 1998, Synthèse Arnaud Colin.
· « Le commerce international », Michel Rainelli, 1988, édition La Découverte, collection Repères.
· « L’épreuve de la mondialisation : pour une ambition européenne », Jean-Yves Carfantan, 1996, édition du Seuil, collection L’épreuve des faits.
· « Les Tiers-Monde », Micheline Rousselet, 1994, édition Le Monde, collection Marabout.
· « La mondialisation de l’économie, 2. Problèmes », Jacques Adda, 1996, édition La Découverte, collection Repères.
· « L’économie mondiale 1995 », CEPII, 1995, édition La Découverte, Collection Repères.
· « L’économie mondiale 1999 », CEPII, 1999, édition La Découverte, Collection Repères.
· « Nord-Sud : renouveler la coopération », Michel Vernières, 1995, édition Economica, collection Economie poche.
· « La revanche du Tiers-Monde », Jean-Claude Chesnais, 1987, édition Robert Laffont, collection Libertés 2000.
· « Le Tiers-Monde, les stratégies du développement à l’épreuve des faits… », Alain Zantman, 1991, édition Hatier, collection J. Brémond.
· « Les destins du Tiers-Monde, analyse, bilan et perspectives », Thomas Coutrot et Michel Husson, 1995, édition Economie Sciences Sociales, collection CIRCA.
· « Economie des Tiers-Monde », Michel Vernières, 1991, édition Economica.
· Site Internet : Summers-Heston Tenn World Tables Mark 5.6