Sommaire
Introduction
Le concept de Révolution industrielle.
I. Les premiers pays de la Révolution industrielle.
A) Bretagne. La Révolution industrielle en Grande.
a) D'une révolution à l'autre : les mutations agricoles , démographiques et sociales.
b) Les transformations relatives au capital.
B) La Révolution industrielle en France.
a) L'économie française : situation intermédiaire.
b) L'évolution de l'industrie et du capital.
II. L'extension de la Révolution industrielle à de nouveaux pays.
A) Les caractères originaux de la croissance économique allemande.
a) Dynamisme de la croissance agricole , capacité d'adaptation.
b) La concentration industrielle allemande.
B) La Révolution industrielle aux Etats-Unis.
a) Les Etats-Unis au lendemain de l'indépendance.
b) Les Etats-Unis au temps du "capitalisme sauvage".
Conclusion
La Révolution Industrielle (RI) est l'essor général des méthodes industrielles de production (machinisme, parcellisation des tâches, multiplication des fabriques) associé au bouleversement des structures économiques et sociales entre la fin du 18è siècle et la première moitié du 19è siècle en Europe Occidentale.
Ainsi, la RI caractérise le passage, plus ou moins rapide, de la société traditionnelle précapitaliste à la société industrielle modelée par le mode de production capitaliste dominant.
Avec cette RI, le monde est entré dans un processus particulier: celui de la croissance économique. Amorcé en Europe, et notamment en Grande-Bretagne, ce processus s'est progressivement étendu à l'ensemble du globe. Il s'agit donc d'un phénomène universel. Cependant, le développement du capitalisme au cours du 19è siècle comme du socialisme au début du 20è, ont été fortement infléchis par les traditions nationales. Pour mettre en valeur ce double caractère de la croissance économique, à la fois universel et spécifique, il s'agira de rappeler les transformations lourdes et en même temps de montrer la diversité des réactions nationales face à ces évolutions. Autrement dit, le siècle qui va de la première RI jusqu'en 1918 doit être découpé en 2 périodes:
- La première RI et l'émergence des grandes puissances dans la première moitié du 19è siècle, période qui concerne les pays qui sont entrés les premiers dans le processus de croissance économique ( I ).
- L'affirmation de la � civilisation industrielle � dans la seconde moitié du 19è et jusqu'en 1918, période concernant les pays entrés les seconds dans ce même processus ( II ).
Au 19è siècle la croissance des productions industrielles dans le cadre des économies capitalistes s'est réalisée selon les caractéristiques particulières des pays.
La Grande-Bretagne a connu un développement industriel précoce et rapide, caractérisé par l'accumulation primitive de capital due aux transformations sociales et organisationnelles dans le secteur de l'agriculture, et par les ressources en travail dues à la pression démographique et à l'exode rural( A ).
En France, la démographie et l'organisation sociale constituent un facteur de stabilité du secteur agricole, et le développement industriel est plus tardif et plus lent. La tradition centralisatrice y fait au libéralisme une place ambiguë, où l'Etat entreprend quand le capital privé fait défaut. Les débuts de l'industrialisation française s'effectuent dans un contexte politique passéiste, et au cours d'une dépression économique de type Kondratiev, alors que l'économie Britannique a bénéficié d'un environnement expansionniste( B ).
A) La RI en Grande-Bretagne:
a) D'une révolution à l'autre : les mutations agricoles, démographiques et sociales.
La RI est située autour de 1800, en Angleterre. S'inspirant de l'exemple hollandais, les propriétaires anglais drainent leurs sols, éliminent la jachère, développent les prairies artificielles et l'élevage.
Le passage de l'� open field � aux enclosures introduit l'individualisme et la productivité dans le système agricole.
La RI anglaise s'est accompagnée d'une révolution agricole et démographique. Vers 1750, on assiste à un phénomène d'accroissement de la population anglaise. Ce phénomène augmente le facteur travail, les besoins marchands ( effet d'appel pour l'industrie et développement du marché ) et s'explique par l'augmentation des naissances, la baisse de la mortalité etc. ( dues aux progrès dans l'alimentation et mesures d'hygiène). La rentabilité croissante révélée par la hausse de la rente foncière au début du 19è entraîne une extension des surfaces exploitées (défrichement des landes, drainage des zones marécageuses).
L'agriculture traditionnelle, peu productive, doit innover pour améliorer les rendements et satisfaire cet accroissement des besoins marchands. Ainsi, le nouveau système agricole remplace la jachère par des assolements complexes, et l'introduction du maïs, de la pomme de terre, etc., conduit à l'amélioration des sols par sarclage et les apports fertilisants (azotés) : la productivité agricole s'accroît. Ces travaux de mise en valeur s'effectuent sur la propriété individuelle : M. Bloch parle d'un � individualisme agraire � qui incite les uns et les autres à valoriser leurs terres par engouement pour les techniques.
Les modifications techniques sont liées aux transformations sociales : la propriété individuelle des terres progresse avec les lois d'� enclosure � qui éliminent les yeomen (petites propriétés enclavées, manque de ressources financières).
A la productivité croissante correspond la baisse des effectifs agricoles, et donc la paupérisation des exclus, et la formation d'une réserve de main-d'oeuvre d'abord exploitée sur place (workhouses ou assistés soumis au travail obligatoire) ensuite dirigée vers les manufactures.
Population employée dans l'agriculture : 70% en 1700, 37% en 1800. La baisse de l'emploi agricole favorise le déplacement de la main-d'oeuvre vers l'industrie.
L'accroissement des effectifs de population en Angleterre est accentué par l'émigration irlandaise (1801-1901). L'Irlande est exploitée économiquement depuis longtemps: déforestation, concurrence des productions anglaises empêchant l'industrialisation locale.
Durant tout le 19è siècle, la poussée démographique se maintient au Royaume-Uni: natalité et immigration grossissent surtout les rangs des pauvres.
Le nouveau système dépend en effet des transformations de l'agriculture, où des gains de productivité sont obtenus depuis environ 1750, et des nécessaires transformations des structures économiques, tout particulièrement dans l'emploi de la main-d'oeuvre disponible.
L'évolution des structures politiques.
Elle est caractérisée par l'émergence du système des partis, qui remplace l'ancienne domination des propriétaires fonciers.
Au 19è siècle, les partis permettent l'expression des oppositions : le parti � tory �, qui regroupe la petite noblesse foncière , conservateur et passéiste, mais plus proche du peuple , revient au pouvoir en 1841, mais ne peut éviter le déclin du pouvoir agrarien, qu'il détruit lui-même par R.Peel, avec l'abolition des corns laws en 1846.
Les structures sociales évoluent parallèlement aux besoins de la classe dominante.
Les lois d'enclosure , depuis 1727 , imposent la concentration de propriété agricole. La privatisation des domaines incite à l'investissement foncier (conséquences: disparition des biens communaux et développement du salariat agricole). Des lois empêchent le morcellement des domaines, et le protectionnisme sur le blé maintient les revenus agricoles après la hausse de la rente foncière due aux années de guerre.
Les lois sur les pauvres complètent ce dispositif social , en assurant la mobilisation des travailleurs. En 1834, le Poor Law Amendment Act régionalise l'assistance, et renforce le terrible système du workhouse, ce qui accroît l'exode des ruraux: la main-d'oeuvre industrielle abondante et bon marché assure la compétitivité durable de l'industrie britannique.
b) Les transformations relatives au capital :
Elles concernent :
(1) Les innovations:
Elles apparaissent dans les industries de biens de consommation : l'industrie textile se développe avec la modernisation du tissage. Une nouvelle façon de filer pour multiplier la productivité apparaît : avec la spinning jenny de Hargreaves (1765) , la mule jenny de Crompton (1774) , puis le métier à vapeur de Cartwright (1789). Les innovations apparaissent aussi dans les industries de biens d'équipement (la métallurgie), dans le domaine de l'énergie (machine à vapeur de J.Watt en 1769) , le chemin de fer ( locomotive de Trevithick en 1804).
(2) Le nouveau système économique:
- Les infrastructures de transports permettent l'homogénéisation du marché interne:
* Canal mania, le duc de Bridgewater fait construire le canal de Manchester à Liverpool (1760-1772) , suivant l'exemple français ( canal du Midi, 1681).
* Road mania, Mac Adam (mort en 1836) invente un revêtement routier (pierres concassées); les routes anglaises (à péage) se développent dès 1760.
* La railway mania suivra, avec les ressources de la sidérurgie.
- Les productions se modernisent et augmentent (textile , fonte , charbon).
Entre 1890 et 1900, la production de fer et d'acier sera dépassée par celles des Etats-Unis et même de l'Allemagne.
Les entreprises grandissent et se concentrent.
Avant 1856 , on trouve surtout des � sociétés de personnes � qui engagent un capital personnel, et des � commandites � dans lesquelles les commanditaires ne risquent que leurs apports.
Le 17 juillet 1856 , le Joint Stock Compagnies Act rend plus facile la création des sociétés par actions, déjà instituées dans le secteur bancaire (loi de 1826 pour les banques de dépôts).
La société par actions sépare l'entreprise de l'entrepreneur: la croissance du capital n'est plus limitée par la dimension des patrimoines individuels.
Le � factor système � est alors implanté dans les � pays noirs � (charbon).
(3) Les structures financières :
La banque anglaise fondée en 1694 a un privilège d'émission sur Londres (1742) et pratique aussi les dépôts et les crédits à court terme. Il y a près de 800 � country banks � en 1810 ; elles déclinerons ensuite.
Les structures bancaires en Grande-Bretagne au 19è siècle sont caractérisées par : les spécialisations des banques, la variété et l'internationalisation de leurs activités. La formation de l'épargne est liée à la répartition, donc aux structures sociales. Les classes laborieuses durement exploitées pendant la RI, n'ont qu'un salaire de misère et ne peuvent épargner. Dans les débuts de l'industrialisation, les inégalités de revenus se développent et la part de l'épargne augmente.
Les investissements sont financés sur ressources patrimoniales (famille, amis, voisins). En effet, le capital fixe nécessaire est peu important , le crédit sert à financer les besoins en fonds de roulement et la croissance se réalise sur autofinancement (réinvestissement des profits). On parle parfois de "capitalisme patrimonial" pour caractériser cette phase de développement industriel , ou l'entreprise et l'entrepreneur sont confondus.
La domination internationale du marché financier britannique s'appuie sur la prééminence industrielle du Royaume-Uni au 19è siècle.
Les transformations relatives au capital permettent à nouveau d'augmenter la productivité. L'Angleterre se spécialise dans le textile et la métallurgie. Elle importe des produits primaires (coton , café) et exporte des produits manufacturés mais ses échanges avec l'extérieur se dégradent vers la fin du 19è siècle. Le déclin relatif de la Grande Bretagne concerne l'épuisement des secteurs de la première révolution industrielle et la montée en puissance des secteurs de la deuxième révolution industrielle. La Grande Bretagne se heurte donc aux pays de la deuxième révolution industrielle.
B) La révolution industrielle en France.
a). L'économie française : situation intermédiaire.
A la différence du Royaume-Uni (et de l'Allemagne comme on le verra plus tard) , le régime démographique en France suit au 19è siècle une transition lente (la baisse des taux de natalité et de mortalité s'effectue presque simultanément).La croissance de la population s'effectue ainsi à taux limité. Les structures sociales ne subissent donc pas les contraintes qu'impose la forte pression démographique dans les autres pays.
Au 19è siècle , l'âge au travail n'est pas réglementé : on travaille très jeune (les enfants sont exploités dès qu'ils peuvent servir) et jusqu'à l'incapacité. Le chômage n'est pas secouru , et n'est donc pas observé.
- Evolution plutôt que révolution agricole (peu d'innovations structurelles).
Au 18è siècle , les progrès agricoles ne profitent qu'aux grandes propriétés (30 % des terres sont possédés par des rentiers bourgeois , 20 % par les nobles et 10 % par le clergé).
Le partage limité , mais réel , des biens des privilégiés pendant la révolution a installé une paysannerie moyenne , facteur de stabilité sociale. La période de dépression économique Kondratiev de 1815 à 1848 , accentue l'immobilisme social. La campagne française ne s'ouvrira vraiment qu'avec l'entretien des chemins vicinaux , qu'une loi de 1836 met à la charge des communes , et avec les transports ferroviaires.
En France , les conséquences de l'individualisme du Code Civil ne sont pas favorables sans délais à l'accroissement de la productivité , au contraire de l'Angleterre. Le mode successoral égalitaire , abolissant le droit d'aînesse , conduit au morcellement des exploitations et maintient donc les techniques et la productivité traditionnelle. C'est une explication plausible de la faiblesse du taux de natalité dans une population à fort pourcentage rural.
Les nouvelles cultures sous l'Empire (betterave) ne modifient pas les procédés de production. C'est le relatif surpeuplement rural des années 1830-1850 qui généralise les assolements sans jachères , les fourrages , les défrichements. Le développement agricole en France se situe ainsi entre 1815 et 1847.
Une sorte de compensation intellectuelle à la lenteur des transformations réelles se manifeste en France. Des écrits sur la culture (Chaptal expose les liens entre les plantes fourragères et la productivité de l'élevage), sur les applications de la chimie , et des organisations se développent (sociétés d'agriculture , comices agricoles vers 1845, et des écoles comme Grignon en 1829 et l'Institut National d'Agronomie en 1876).
Le rôle de l'Etat.
L'intervention apparaît sous la Monarchie de Juillet , avec la création en 1831 d'un Conseil Général de l'Agriculture , puis en 1836 d'un Ministère du Commerce et de l'Agriculture qui ne seront séparés qu'en 1881. Les écoles sont subventionnées. Mais le plus efficace apport de l'Etat est l'infrastructure ferroviaire , qui crée un véritable marché national pour les productions et incite ainsi au développement.
La croissance des productions.
L'exode de main-d'�uvre rurale et la croissance de l'industrie sont liés à la productivité dans l'agriculture.
b).L'évolution de l'industrie et du capital.
(1) L'industrialisation:
Le maintien des organisations traditionnelles.
La flexibilité (actuellement tant recherchée) était obtenue par la répartition de l'industrie à la campagne , puis à la ville : domestic system ou putting out system. Dans ce système, l'entrepreneur fournit les matériaux ,reprend les produits finis et les commercialise.
Les secteurs textiles traditionnels (laine , soie et lin) restent organisés de cette façon au début du 19è siècle.
- Les formes industrielles modernes.
C'est l'Etat , dans la tradition du Colbertisme , qui suscite l'imitation des matériels et des méthodes anglaises dans l'industrie du coton. La mécanisation se développe entre 1800 et 1810 (blocus continental), à partir de l'énergie hydraulique (Normandie , Nord , Région parisienne et sud de l'Alsace).
La sidérurgie réalise trois produits : la fonte , le fer et l'acier. Les innovations anglaises (le coke par Darby 1710, le puddlage ou brassage de la fonte pour obtenir du fer par Cort 1783) sont mises en pratique , tandis qu'en France Reaumur publie en 1722 et 1762 ses traités sur le fer. La maîtrise de la production d'acier intéresse l'Etat (Louis XVI aurait financé des hauts fourneaux ). L'usage de la coke atteint la Lorraine en 1818 et la Loire en 1832.
En France , les propriétaires fonciers et les maîtres de forges trouvent avantage au protectionnisme qui maintient la sidérurgie au bois.
Avant 1850 la France , gênée par le manque de houille , doit encore importer de l'acier belge et anglais.
Les facteurs favorables à l'industrialisation en France sont au niveau de la formation (développement technique , grandes écoles : 1794 , Polytechnique ; 1829 , Centrale) et des structures administratives centralisées (système métrique en 1790).
Les facteurs défavorables sont les structures physiques (faible démographie , handicap des ressources naturelles), et économiques (épargne limitée , investissement timoré).
(2) Les structures industrielles.
- Les infrastructures.
Sous la Restauration et la Monarchie de Juillet , les canaux sont développés par le transport des houilles du Nord. Le chemin de fer se développe et les communications sont assurées au milieu du 19è siècle.
- La concentration.
A la fin du 19è siècle , la concentration du secteur est déjà faite : les grands s'appellent Schneider , Longwy , Châtillon...
La concentration géographique exploite les complémentarités : les petits ateliers s'installent près des usines , dont la croissance entraîne la diminution du nombre de producteurs sur le marché.
La concentration du pouvoir apparaît dans les ententes patronales (soie , lin , Comité des forges).
(3) Le capital financier:
Une controverse entre historiens : les structures bancaires sont-elles un facteur de "retard" français ?
- Le financement de l'économie.
La Banque de France a été fondée le 16 février 1800. C'est une société en commandite par actions souscrites surtout par des banquiers .Elle effectue des opérations d'escompte, de dépôts , le commerce d'or et d'argent et l'émission de billets (monopole d'émission dans la région parisienne en 1803 puis monopole national d'émission en 1848).Les paiements sont faits en espèces , surtout en argent ; le circuit répétitif de l'économie rurale limite la circulation et le besoin de monnaie en France.
- L'organisation bancaire et financière.
Le "retard" de la banque française est surtout lié à la discontinuité de son réseau : jusqu'en 1850 , il n'y a rien entre les banques locales (ou les notaires) , et la banque d'affaires.
En effet , le capital disponible hésite à s'investir , malgré les efforts de l'Etat pour le rassembler (Caisse des Dépôts et Consignations en 1816).
La formation des banques de dépôts se fait en phase de croissance de l'économie (Kondratiev ascendant 1848-1873) : crédit industriel et commercial (1859) , Crédit Lyonnais (1863) , Société Générale (1864).
La Bourse des valeurs (créée en 1724 après l'expérience de J.Law) devient peu à peu active sous la Monarchie de Juillet : avec le développement des canaux , des charbonnages , des chemins de fer.
Les autres économies capitalistes , Allemagne et Etats-Unis , ont eu des évolutions particulières.
La croissance économique de l'Allemagne a d'abord été limitée par l'absence d'unité politique. La formation d'un marché intérieur , base du développement industriel , y est aussi la base de l'unification nationale. Les particularités culturelles , telles que les traditions commerciales et financières ou l'organisation corporatiste du travail , y permettent l'installation d'un capitalisme privé moins individualiste que chez les anglo-saxons , et moins attaché à la dichotomie public-privé que dans les formes latines (A).
Le marché intérieur américain , formé par le déplacement de la "frontière" jusqu'au Pacifique, est à l'origine d'une croissance rapide et forte , fondée sur l'efficacité des acteurs privés dans un cadre résolument libéral et compétitif (B).
A) Les caractères originaux de la croissance économique allemande.
a). Dynamisme de la croissance agricole , capacité d'adaptation.
Deux éléments essentiels caractérisent l'évolution économique et politique de l'Allemagne : les transformations dans l'agriculture et l'unification économique ou le Zollverein.
(1). Les transformations dans l'agriculture.
L'ordre social dans les principautés allemandes est resté féodal : les paysans sont asservis , les loyers payés en travail , les exploitations morcelées imposent des travaux communs et les modes de production restent traditionnels. Les "junkers" , petits nobles ruraux , suivant l'exemple anglais et , de 1815 à 1860 , intègrent le progrès technique dans l'exploitation de leurs domaines. La démographie est encore plus fortement croissante qu'en Grande Bretagne.
(2). L'unification économique (le Zollverein).
Après de longues hésitations de la part des Etats et grâce aux efforts de l'économiste F.List , un accord établit le Zollverein en 1834 (zone de libre-échange entre la Prusse , la Bavière , le Wurtemberg et les deux Hesse). D'autres Etats adhéreront plus tard , comme la Saxe , etc.
Les historiens situent le décollage de l'économie allemande entre 1850 et 1870.
Au début du 19è siècle , l'ouverture du marché intérieur a stimulé l'industrie , mais les corporations n'ont pas été supprimées en Allemagne et une grande part des productions reste artisanale ou associée au travail paysan (domestic system).
b).La concentration industrielle allemande.
Les grandes manufactures sont donc rares jusqu'en 1850. Elles naissent dans les activités modernes : filatures de coton , sidérurgie. La capacité d'investissement dépend des banques , qui resteront durablement liées à l'industrie.
En 1850 , la navigation à vapeur se développe sur le Rhin. La mécanisation touche un tiers environ de la main-d'�uvre. La sidérurgie se concentre rapidement , la chimie apparaît avec BASF (Badische Anilin und Soda Fabrik en 1865) et Bayer. Le textile reste une industrie de main-d'�uvre , mais profite des apports techniques de la chimie pour les colorants.
La phase ascendante du Kondratiev qui suit les événements de 1848 facilitera la croissance industrielle et la concentration des entreprises.
Un autre caractère original de la croissance économique allemande concerne les structures financières. Le caractère tardif des transformations de la société rurale et le cadre politique morcelé n'ont pas favorisé d'accumulation de capital préalable au développement industriel. Il existe cependant un capital d'origine commerciale dans les villes marchandes (Hambourg , Brême , Lübeck...).
Les activités bancaires traditionnelles dans les grandes villes (Cologne , Mayence , Francfort...) sont surtout le change et le financement du commerce international , lui-même dû aux insuffisances de la production intérieure.
Avec la croissance de l'industrie , les besoins de financement rendent nécessaires les structures bancaires modernes:
- des banques d'émission apparaissent (l'efficacité économique du Zollverein était affaiblie par la diversité des changes dans les opérations commerciales ; mise en place d'un système interne de taux fixes en 1857 ; accord sur la monnaie unique réalisé avec l'unification et la création du mark en octobre 1871).
- les banques d'affaires privées sont vite internationalisées.
- les institutions spécialisées apparaissent.
N.B.: les banques allemandes , très tôt concentrées , sont liées aux industries qu'elles financent. Des banquiers siègent aux conseils d'administration des entreprises et réciproquement. Les actions possédées par la banque et celles de ses clients fournissent les droits de vote qui permettent au capital financier de contrôler le capital industriel.
B). La R.I. aux Etats-Unis:
a). Les Etats-Unis au lendemain de l'indépendance.
Au 18è siècle , l'Angleterre domine l'Atlantique Nord et l'Amérique.
A la fin du 18è siècle , les Etats-Unis accèdent à l'indépendance (la guerre d'indépendance des Etats américains dure de 1775 à 1783).
En 1765 , le conflit du timbre (taxe) oppose les colons au Royaume-Uni. En 1773 la Tea party de Boston est un nouveau conflit : en réaction aux nouvelles taxes sur le thé , la cargaison de trois bateaux est jetée à la mer. En 1774 , au premier congrès continental à Philadelphie les délégués des treize Etats de la côte est décident la cessation du commerce avec l'Angleterre.
En 1775 , à Lexington , première bataille entre troupes britanniques et milices américaines.
La croissance des Etats-Unis est interprétée par W.Rostow , pour qui les E.-U. ont connu un "take off" au nord-est entre 1840 et 1850 , puis un take off "progressif" vers l'ouest en suivant la progression du rail. La rareté du capital explique la progression :les premiers arrivés défrichent , assument les risques de la création des terres nouvelles , puis vendent et repartent s'installer plus loin. Les plus riches arrivent en dernier , avec les voies de communication modernes.
La population des E.-U. croît rapidement , mais reste inférieure à celle du Royaume-Uni , de l'Allemagne et de la France en 1850.
L'extension territoriale vers l'ouest maintient la rareté relative de la main-d'�uvre.
La population est inférieure à quatre millions d'habitants en 1790 , mais elle double tous les 23 ans et atteint 32 millions en 1860. Les anciens colons , puritains et protestants , ont assuré au 18è siècle un peuplement rapide avec des taux de natalité très élevés.
La répartition de la population entre villes et campagnes laisse aux E.-U.,dans la première moitié du 19è siècle ,la plus forte proportion rurale par rapport aux autres pays développés. La population urbaine croît cependant entre 1810 et 1848 , dans les villes anciennes (New York , Boston , Baltimore) mais aussi dans les villes récentes (Chicago qui se développe à partir de 1830).
La partie noire de la population , issue de la traite et de l'esclavage atteignait environ 20 % en 1776. La traite est interdite en 1807 aux E.-U. , et après 1815 la chasse aux navires négriers arrête l'immigration noire.
L'immigration a compensé la pénurie chronique de main-d'�uvre. Les immigrants fuient la misère et les crises européennes (celle de 1848 entraîne un afflux significatif) et le rythme se ralentit pendant les récessions américaines .
De 1840 à 1880 , entrent aux E.-U. 9 millions d'immigrants dont 4 venus du Royaume-Uni et 5 venus d'Europe de l'ouest.
De 1880 à 1920 , les entrées atteignent 29 millions , dont 15 millions d'européens du sud.
Après 1868 , des lois restreignent l'immigration chinoise;
Après 1904 , l'immigration japonaise est contingentée;
Dès 1920 , l'immigration des non américains est limitée.
b). Les E.-U. au temps du "capitalisme sauvage".
La croissance de l'économie.
L'American system (dû à H.Clay) a consisté à financer les dépenses d'infrastructures de transport permettant le développement des marchés et des productions (agricoles et industrielles) par des droits de douane élevés protégeant le marché intérieur. Cette organisation est l'expression économique de l'autosuffisance des E.-U.
- L'agriculture.
Au sud le roi coton règne. L'épuisement des terres pousse au déplacement des plantations vers l'ouest , avec les esclaves. La machine à égrener le coton (Whitney 1793) permet l'extension des cultures , et double le rendement par travailleur , laissant une partie de la main-d'�uvre disponible pour l'industrialisation qui s'implante à l'est. En 1860 , les E.-U. sont le premier producteur mondial.
Les autres productions spécifiques sont le tabac , la canne à sucre , le riz...Les terres doivent être labourées en profondeur , ce qui est réalisé avec des charrues d'acier.
Au centre et au nord-ouest , l'élevage et la culture des céréales se développent de façon extensive. La mécanisation apparaît avec la moissonneuse de Mac Cormick (1834) et la batteuse (1837). Les voies de communication permettent de rentabiliser les productions , et les capitaux nécessaires au commerce sont réunis. En liaison avec le phénomène de la frontière , la spécialisation sur les terres mobilise des fonds qui participent ainsi à la croissance.
Au nord-est , les villes servent de débouchés à la polyculture , et les activités spécifiques sont les produits laitiers et maraîchers. La transformation des produits (meunerie, brasserie, alcools...) apparaît aussi , marque de l'évolution des modes de consommation.
La croissance des surfaces cultivées se poursuit après la guerre de sécession. Les productions augmentent rapidement de 1870 à 1913 : doublement pour le maïs , triplement pour le coton (mais déclin du riz et de la canne à sucre). Le fil de fer barbelé , inventé en 1877 , contribue à la "sédentarisation" de l'élevage en grandes exploitations (ranchs).
- L'industrialisation.
Les transports fluviaux sont très utilisés : une flotte nombreuse de bateaux à vapeur , à fond plat et à roues , sillonne le mississipi. Les lignes maritimes se forment dès 1815. La compétitivité américaine est forte dans la construction navale. Les grands clippers (voiliers) déclinent dans la seconde moitié du 19è siècle , et avec eux la construction navale.
Les chemins de fer , sur ce grand territoire , sont nécessaires à la croissance. Dès 1830 , des tronçons de lignes sont mis en place , sur initiatives et financements privés (cf. R.Chandler , La main visible des managers , 1977). La concurrence y sera sauvage , conduisant à la concentration et aux spéculations financières.
Le textile : de 1812 à 1814 , il y une relative interruption des relations commerciales et un début d'industrialisation limité par le manque de capital.
La sidérurgie : la croissance des voies ferrées entraîne celle des bassins miniers de la région de Pittsburg (Pennsylvanie). Dès 1877 , les E.-U. sont au troisième rang de la production mondiale de charbon , et en 1914 sont au premier rang pour le charbon , la fonte et l'acier. La sidérurgie se répartit sur le territoire.
La mécanique se développe aussi : machines à vapeur , machines agricoles puis manufactures d'armes , enfin mécanique de précision (machines à coudre de Singer 1851). Les communications assurées par la route (messageries) , sont concurrencées par les télégraphes Morse dès 1844.
Exception faite de l'esclavage , les conditions de travail sont bonnes (la main-d'�uvre est rare).
En 1827 , les charpentiers de Philadelphie font grève pour avoir la journée de 10 h...
En 1834 , première assemblée nationale de représentants ouvriers.
La deuxième vague industrielle est importante : Rockefeller fonde la Standard Oil (1870) , monopolisant le raffinage et la distribution du pétrole. En 1913 , année où Ford installe la "chaîne mobile" , les E.-U. fabriquent déjà 80 % de la production mondiale d'automobiles.
Le financement de la croissance.
- La croissance et la monnaie.
Le dollar est créé en 1791 , par Hamilton , sur une base bimétallique. Le problème de l'émission de monnaie aux E.-U. est un problème de société. Le nord-est , déjà développé , souhaite une émission limitée , les taux d'intérêt élevés valorisant le capital déjà accumulé. L'ouest et le sud , emprunteurs , veulent une émission forte , l'inflation réduisant leur dette et favorisant leur croissance.
La First National Bank est créée en 1791 , avec un privilège fédéral d'émission pour 20 ans. Des banques d'émission pouvaient aussi être créées par les Etats , et leur nombre passa de 88 à 246 entre 1811 (fin de la First National) et 1816 (création de la Second National Bank) , la circulation de billets étant plus que doublée en 5 ans.
Le manque d'homogénéité de la masse monétaire la rendait fragile et incontrôlable , et lors de la crise de 1819 , la Second National dut demander à des banques d'Etat d'honorer leurs billets. Elles se retournèrent vers les emprunteurs locaux , suscitant des faillites.
Pendant la guerre de sécession , le gouvernement a émis des billets inconvertibles appelés "greebacks" , et en 1863 , le National Bank Act a autorisé certaines banques à émettre des billets basés sur la dette publique. L'inflation fiduciaire provoqua une forte croissance , et une distorsion des revenus plus favorable aux profits qu'aux rentes foncières.
- Les banques et l'économie.
Le caractère essentiel est l'extrême variété du système jusqu'en 1913.
Les Nationals Banks font toutes les opérations : émission , crédits , etc. Elles sont 6900 en 1913 , et disposent de nombreuses agences. Les State Banks (11000 en 1913) ont la même activité dans le cadre d'un Etat. Les Trust Compagnies et Private banks pratiquent le crédit commercial (escompte , court terme) , le change ; certaines sont des banques d'affaires qui participent à la forte concentration de la fin du 19è siècle (Morgan , etc.).Des établissements spécialisés font le crédit hypothécaire , les prêts aux agriculteurs , la collecte de l'épargne , et des entreprises d'assurance font aussi des opérations bancaires.
CONCLUSION
La période étudiée (1750-1918) est marquée par de profondes transformations (niveaux agricole , innovations technologiques fondamentales , processus d'urbanisation , formation de classes sociales...). Ces transformations se réalisent dans le cadre d'un élargissement décisif des formes capitalistes de production et d'échanges (progrès techniques continus , capitaux mobilisés en vue d'un profit). Le processus d'industrialisation en Grande Bretagne est plus rapide qu'en France où la tradition et l'intervention de l'Etat représentent des facteurs de retard. En Allemagne , c'est le contexte politique qui ralentit le processus de croissance tandis qu'aux E.-U. ce processus est plutôt rapide grâce au capitalisme à grande échelle.
BIBLIOGRAPHIE
1. Jean-Charles ASSELAIN, Histoire économique : De la Révolution Industrielle à la première guerre mondiale , Dalloz , 1985.
2. Yves CROUZET et Christian LE BAS , L'économie mondiale tome 1 , de la Révolution Industrielle à 1945 , Hachette , 1993