PLAN :
INTRODUCTION
Première partie : La théorie de la croissance de Kaldor à la lumière des travaux de Kalecki |
· Un des aspect les plus originaux de la pensée de Kaldor.
· Une relation entre le taux d’accroissement du capital et le taux d’accroissement de la production.
C. La fonction d’investissement.
Deuxième partie : Le second modèle de croissance de Kaldor et les obstacles à la croissance de l’économie capitaliste selon Kalecki |
CONCLUSION.
INTRODUCTION.
Michal Kalecki est l’économiste polonais le plus renommé à l’étranger. Il est considéré, avec Frisch et Tinbergen, comme le fondateur de la dynamique moderne. C’est dire son importance, surtout si l’on songe que la "théorie Générale " de Keynes ne présente qu’une théorie statique. Les théories modernes du développement ont beaucoup à prendre dans son œuvre alors qu’on a souvent souligné l’inadaptabilité de la "théorie générale " aux problèmes du développement.
Marxiste, il n’est pas loin avant guerre de partager les idées assez pessimistes des penseurs de l’époque – les stagnationnistes – sur l’avenir de l’économie capitaliste. Après sa "théorie de la dynamique économique ", qui est une analyse des fluctuations et de la croissance de l’économie capitaliste, il s’est d’ailleurs penché sur les fondements de la croissance en économie socialiste.
L’apport de Kalecki a la dynamique économique est considérable : l’idée de délai qui introduit à celle de période, est beaucoup plus riche que la simple distinction entre courte et longue périodes de Marshall à laquelle s’est arrêté Keynes. En outre, la Théorie générale supposait – par définition – le stock de capital constant et indépendant de l’investissement de la période. La réintroduction de l’aspect "offre" de l’investissement (accroissement des capacités de production futures) et son interaction dynamique avec l’aspect "demande" (effet multiplicateur) vont être ainsi à l’origine des théories contemporaines de la croissance et du cycle. Kalecki (1936) fut sans doute le premier à avoir proposé une explication du cycle fondée sur ces deux aspects. Le problème a été ensuite repris par Samuelson (1939), mais il faudra attendre Harrod et Domar pour que la problématique de la croissance soit développée en ces termes.
Kalecki passe la guerre en Grande-Bretagne, et influence de ses idées les travaux de ses contemporains, dont Nicholas Kaldor. Son séjour outre-manche a pour fruits de nouvelles études qu’il publie en 1943, les " Studies in Economic Dynamics ". A l’étude du cycle, Kalecki ajoute celle de la tendance qui aboutira aux conceptions modernes de la croissance et du développement. Il publie enfin, en 1954, sa Théorie de la dynamique économique, qu’il considère comme la seconde édition de ses Essays et de ses Studies.
Kaldor peut être considéré à plus d’un titre comme un penseur original. Il est Keynésien en ce qu’il utilise les outils de la Théorie générale mais il n’en adopte pas pour autant toutes les conceptions. S’il reprend la demande effective comme variable explicative et la détermination de l’épargne par l’investissement, il envisage différemment la propension à épargner : elle est sensible selon lui aux variation des prix par rapport aux coûts. Cette sensibilité a une très grande importance dans la Théorie de la répartition qu’il a élaboré et qui reprend largement les travaux de Kalecki. C’est grâce à elle que pourront entrer en jeu les mécanismes permettant d’égaliser l’épargne et l’investissement au niveau du plein-emploi par l’intermédiaire d’un changement dans la répartition des revenus.
Cependant la théorie de la répartition sur laquelle nous reviendrons, ne constitue pas une fin dans les travaux de Kaldor. Celui-ci se préoccupe bien plus des problèmes de croissance et l’on pourrait dire que c’est en étudiant ces derniers qu’il a rencontré les questions de la répartition.
Dans ce domaine de la croissance, l’œuvre de Kaldor possède sans doute ses traits les plus caractéristiques. Il a publié deux modèles de croissance, le premier en 1957 et le deuxième en 1962. L’un et l’autre se distinguant particulièrement par la conception et la prise en compte du progrès technique. Au lieu d’utiliser une fonction de production reliant l’output, à un instant donné du temps, au stock de capital sans pouvoir tenir compte de l’accumulation, Kaldor la remplace par une fonction de progrès technique établissant un lien entre le taux de croissance de la production et le taux d’investissement à n’importe quel moment du temps.
Mais qu’est-ce que le progrès technique ? Le mieux est d’adopter une définition très large au début quitte à la revoir par la suite. Ainsi, on admettra qu’il s’agit " de tous les effets qui, à quantité de main d’œuvre et d’équipement donnés, permettent d’augmenter la production naturelle " [L. Stoleru]
L’apport de ces deux auteurs à la théorie économique est vaste et il est difficile de choisir un aspect plus significatif qu’un autre. Aussi ce dossier se propose-t-il d’exposer l’évolution des modèles de croissance élaborés par Kaldor à la lueur d’une partie des travaux de Kalecki.
Première partie : La théorie de la croissance chez Nicholas Kaldor au regard des travaux de Michal Kalecki. |
Kaldor a élaboré deux modèles de croissance dans lesquels il tente de mettre à jour des mécanismes propres à entraîner l’économie vers la voie de la croissance équilibrée. Leur différence réside dans l’analyse du progrès technique et aussi dans celle de l ‘épargne et de l’investissement. Le modèle élaboré en 1957 suit l’approche dite "dynamique ", inaugurée par R. Harrod, qui considère les taux de variation du revenu et du capital comme des variables endogènes. Mais Kaldor s’écarte sur bien des points de la théorie de Harrod ou de celle de Keynes. Son modèle en témoigne dans les trois relations qu’il comporte et que nous essaierons de mettre en parallèle avec les travaux de Kalecki.
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a. De la théorie de la répartition de Kalecki… …
Degré de monopole et répartition du revenu.
On peut classer les variation de prix dans le court terme en deux grandes catégories : celle qui dépend des variations du coût de production et celle dépendante des variations de la demande. Kalecki explique que d’une manière générale, " les variations des prix des produits finis sont déterminés par le coût, tandis que les variations des prix des matières premières, sont déterminés par la demande ". Kalecki a établit une relation simple entre la répartition du revenu national et ce qu’il a appelé " le degré de monopole ". Dans la préface à la " Théorie de la dynamique économique ", Michel Lutfalla montre qu’il correspond à l’inverse de l’élasticité de la demande, c’est à dire que " le degré de monopole " d’une entreprise dépend de la fonction de demande pour la production de cette entreprise et donc de la fixation des prix par les entrepreneurs. Selon Kalecki, l’accroissement du degré de monopole réduit la part relative du travail manuel dans le revenu national.
L’ expérience a montré, écrit Kalecki, que la répartition du revenu national entre capitalistes et travailleurs est restée stable en longue période, ce que soutient également Kaldor. Les variations à long terme de la part relative des salaires, que ce soit dans la valeur ajoutée d’un groupe d’industries, tel le secteur manufacturier, ou dans le revenu brut de tout le secteur privé, sont déterminées par des tendances de longue durée du degré de monopole, des prix des matières premières par rapport aux coûts unitaires en salaires, et de la composition industrielle. Le degré de monopole a une tendance générale à s’accroître dans le long terme et donc à diminuer la part relative des salaires dans le revenu, bien que, cette tendance soit beaucoup plus forte durant certaines périodes que durant d’autres (Ainsi la part relative des salaires dans la valeur ajoutée du secteur manufacturier des Etats-Unis a considérablement diminué depuis 1880, tandis qu’au Royaume-Uni, les salaires ont maintenu leur part dans le revenu national des années 1880 à 1924, avec dans l’intervalle, des mouvements à long terme ascendants et descendants).
Concrètement, Kalecki explique que le revenu des travailleurs consiste en salaires et en traitements et, que le revenu des capitalistes ou profit brut comprend l’amortissement de l’équipement en capital, les profits non distribués, les dividendes et les prélèvements dans les affaires qui ne sont pas sous forme sociétaire, la rente et l’intérêt enfin.
Nous avons ainsi le bilan national brut, dans lequel nous distinguons la consommation des capitalistes de celle des travailleurs :
Profits bruts Salaires et traitements |
Investissement brut Consommation des capitalistes Consommation des travailleurs |
Produit national brut |
Produit national brut |
Prenant l’hypothèse que les travailleurs n’épargnent pas, la consommation des travailleurs sera alors égale à leur revenu. Dès lors :
· Profits bruts = Investissement brut + Consommation des capitalistes
Kalecki se pose la question de savoir si les profits au cours d’une période donnée déterminent la consommation et l’investissement des capitalistes où l’inverse.
Pour lui tout dépend desquelles de ces grandeurs font directement l’objet des décision des capitalistes. " Ils peuvent décider de consommer et d’investir durant une période donnée plus qu’à la précédente période, mais ils ne peuvent décider de gagner plus. Ce sont en conséquence, leurs décisions d’investissement et de consommation qui déterminent les profits et non l’inverse ".
Considérant que les profits sont déterminés par la consommation et l’investissement des capitalistes, c’est le revenu des travailleurs (égal ici à la consommation des travailleurs) qui est déterminé par les " facteurs de répartition ", comme le " degré de monopole ". De cette manière, la consommation et l’investissement des capitalistes, conjointement aux " facteurs de répartition " déterminent la consommation des travailleurs et, par suite, le produit national et l’emploi. Le produit national s’accroîtra jusqu’au point où les profits qui s’en détachent sont égaux à la somme de la consommation et de l’investissement des capitalistes.
Dans le cadre d’un modèle de croissance dynamique, l’approche de Kalecki est par beaucoup de côté un rappel de la " jarre de la veuve " de Keynes, même si le propos de Kalecki n’est pas d’expliquer la part des profits par rapport à la production, mais de montrer pourquoi le niveau de la production et ses fluctuations dépendent étroitement du comportement des entrepreneurs. Pour ce faire, il formule donc l’hypothèse restrictive que l’épargne provient entièrement des profits. Pour lui, les salariés n’épargnent pas. Seule l’autre catégorie sociale, celle des propriétaires de biens de production, titulaires de revenus capitalistes, peut épargner. Il suppose par ailleurs, que le volume total des stocks reste invariable au cours du cycle, ce qui lui permet de limiter son analyse à l’investissement en capital fixe.
Cet investissement se traduira par des variations de l’ensemble des capitaux fixe existants, puisque ses variations sont dues à la différence entre le flux d’entrée et le flux de sorties, entre les capitaux neufs livrés et la demande de restauration des capitaux usés (dépréciés)
b. … … à la fonction d’épargne de Kaldor.
La Théorie de la répartition de Cambridge, issue de Ricardo et de Marx, et a laquelle se rattache Kalecki est beaucoup plus connue à travers les travaux de Kaldor. Ce dernier lui rend d’ailleurs hommage lorsqu’il dit "il me faut dire ici quelle stimulation j’ai reçue d’un article de Kalecki (1942)… (" Essays on value and distribution ") ".
Sa fonction d’épargne résulte en effet de l’analyse de la répartition : comme Kalecki, il retient deux types de participants à la répartition du revenu national : les titulaires de profit et les titulaires de salaires :
· Y = W + P
Où Y est le revenu national, W et P les parts des salaires et des profits.
L’épargne se présente donc sous une forme différenciée :
· S = Sw + Sp
Où Sw est l’épargne des titulaires de salaires au sens large et Sp celle des titulaires de profits et de revenus sur la propriété en général. A ces deux types d’épargne sont associées des propensions moyennes à épargner sp et sw qui satisfont la condition :
· 0 £ sw < sp < 1
Kaldor estime leur valeur à environ 0,5 pour sp et 0,05 pour sw. Il déclare explicitement qu’on peut les considérer comme constantes en courte période et il admet implicitement qu’elles le restent en longue période. On peut regretter qu’il ne s’explique pas plus sur ce point, car c’est un élément très important de sa conclusion selon laquelle la répartition des parts dans le revenu national est stable en longue période.
La condition sp > sw est tout aussi essentielle. En effet, c’est une pièce fondamentale du mécanisme d’ajustement de l’épargne à l’investissement à un niveau d’équilibre stable de plein-emploi. Au stade du plein emploi, une augmentation de la demande, venant grossir la demande globale, va entraîner une hausse des prix par rapport aux coûts, permettant aux profits de s’élever. Grâce à la condition ci-dessus, l’épargne supplémentaire des titulaires de profits fera plus que compenser l’épargne en baisse des salariés et ainsi, l’épargne globale pourra s’élever suffisamment pour égaler l’investissement.
L’adoption par Kaldor de l’hypothèse de plein-emploi est, une des raisons qui distinguent son analyse de celle de Harrod et de Keynes. Pour lui, dans une économie en croissance, le niveau général de la production ne dépend pas de la demande effective, mais est limité par les ressources disponibles. Il en résulte que le plein-emploi est caractérisé par une offre globale de biens et de services inélastique. Kaldor estime que les économies capitalistes fonctionnent au stade du plein-emploi chaque fois que l’accumulation du capital et le revenu national croissent. Cette accumulation du capital se traduit par des investissements accrus. Ils ne seront satisfaits qu’au moyen du changement dans la répartition des revenus, afin qu’apparaisse le supplément d’épargne qui est la condition nécessaire pour un équilibre continu de plein-emploi avec un niveau absolu plus élevé d’investissement. Dans son analyse, Kaldor opère donc bel et bien une liaison avec la théorie de Kalecki pour lequel " les capitalistes gagnent ce qu’il dépensent alors que les travailleurs dépensent ce qu’ils gagnent ".
Finalement la fonction d’épargne se présente comme suit :
S = s.Y ; s = sw + (sp – sw) . (P/ Y)
Þ S = sp. P + sw(Y –P)
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Une des critiques adressées par Kaldor à la théorie néo-classique concerne la théorie de la production. Les néo-classiques ont tendance à raisonner sur des fonctions de production (linéaires et homogènes de préférence) qui se déplacent sur le plan sous l’effet du progrès technique. Kaldor se livre à la tentative de reconstruction, car il ne lui semble pas possible de dissocier le progrès technique de l’accumulation de capital, d’où l’introduction d’un nouveau concept, " la fonction de progrès technique, qui établit une relation entre le taux d’accroissement du capital et le taux d’accroissement de la production et qui incorpore les effets d’une amélioration continuelle des connaissances aussi bien que les effets d’une croissance de capital sans qu’on cherche à isoler les uns des autres ".
La pensée de Kaldor possède dans ce domaine un de ses aspects les plus originaux. Son analyse du progrès technique est étroitement liée au taux d’accumulation du capital.
Son modèle évite toute distinction entre les changements techniques qui sont induits par des modifications dans l’offre de capital et ceux qui sont induits par les innovations. Il s’en explique de la manière suivante :
L’utilisation accrue de capital par travailleur entraîne inévitablement l’introduction de techniques améliorées qui demandent une certaine capacité d’invention. D’autre part, la plupart des innovations techniques qui sont capables d’augmenter la productivité du travail demandent un surcroît de capital par tête. De cette manière, la capacité d’une société à "absorber " le capital dépend de son dynamisme technique, de sa propension à inventer et à introduire de nouvelles techniques de production. Une société où les changements techniques sont lents, où le taux d’élimination des équipements anciens est peu élevé, connaîtra nécessairement un taux faible d’accumulation du capital. L’inverse se vérifie également.
Kaldor suppose ainsi une relation simple et fonctionnelle entre la croissance de la productivité et celle du capital. Cette fonction de progrès technique peut se représenter graphiquement selon la figure I :
* k et y représentent le capital et l’output annuel par tête.
* 1/k.dk/dt est le pourcentage annuel d’accumulation par tête du capital.
* 1/y.dy/dt le pourcentage annuel de croissance de la production par tête.
La courbe coupe l’axe des ordonnées en T > 0 car on suppose que même en l’absence d’accumulation du capital il existe certaines améliorations, dans l’organisation de la production par exemple, permettant d’accroître la productivité. Kaldor reste très discret sur la forme convexe décroissante de la courbe TT’. Il indique "qu’il y a vraisemblablement un certain maximum au-delà duquel le taux de croissance de la productivité ne peut s’élever, aussi rapide que soit accumulé le capital ".
Mais quelles sont les forces qui déterminent ce maximum et pourquoi ? Jean Marchal suggère que vraisemblablement, lorsque le taux d’accumulation s’élève beaucoup, la quantité des innovations techniques finiront tôt ou tard par fléchir, entraînant en même temps le fléchissement du taux d’accroissement de la productivité.
La hauteur de la courbe TT’ dépend de la quantité d’idées nouvelles apparaissant au cours du temps et de leur rapidité de transformation en innovations techniques. C’est elle qui différencie les économies capitalistes.
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a. La théorie de l’investissement de Kalecki
Pour Kalecki, l’investissement et la consommation des capitalistes sont déterminées par des décisions élaborées dans le passé, " car l’exécution des ordres d’investissement prend un certain temps et leur consommation répond à des variations des facteurs qui ne l’influencent qu’après un certain délai " (Le délai de production est d’ailleurs le fondement de sa théorie du cycle : il existe un délai entre les commandes de biens d’investissement et la fabrication de ces biens, et autre délai entre cette production et la livraison, délai qui donne de la lourdeur au système, mais aussi le rapproche de la réalité). Les profits bruts réels durant une période donnée sont déterminés par les décisions des capitalistes, en accord avec leur consommation et leur investissement établis dans le passé, décisions " sujettes à correction en cas de variations inattendues du volume des stocks "
Kalecki énumère les facteurs susceptibles de limiter la dimension d’une entreprise. Il signale ainsi les dépenses liées à la production à grande échelle et les limitations du marché, " dont " l’expansion nécessiterait des réductions de prix non profitables ou des accroissement des coûts de vente ". Pour lui, c’est un autre facteur qui joue un rôle capital dans la limitation de la taille de l’entreprise : le montant de son capital, plus précisément de son capital propre. A cela deux raisons :
· une capacité d’emprunt limitée ; le montant de capital qu’elle peut espérer obtenir des épargnants, est largement lié à son capital propre. Si par exemple, une entreprise souhaite émettre un emprunt obligataire trop important par rapport à son capital propre, cet emprunt ne serait pas complètement couvert.
· " le risque croissant " impliqué par l’accroissement du capital ; un investissement accru par rapport au capital propre implique une diminution plus importante du revenu de l’entrepreneur, en cas d’insuccès de l’affaire.
La dimension d’une entreprise apparaît ainsi comme limitée par le montant de son capital propre, à la fois à travers son influence sur la capacité d’emprunt en capital de l’entreprise et par son effet sur le degré de risque.
Kalecki suppose que le volume total des stocks reste invariable au cours du cycle, ce qui lui permet de limiter son analyse à l’investissement en capital fixe.
Afin de replacer les facteurs déterminants le développement économique de l’économie capitaliste dans leur perspective propre, il est nécessaire de reformuler brièvement sa théorie fondamentale de l’investissement. L’investissement en capital fixe par unité de temps est déterminé avec un délai par trois facteurs :
Les deux premières influences sont positives et la troisième est négative.
L’ épargne brute des entreprises est un concept vague qui consiste en la dépréciation et les profits non distribués. Kalecki suppose que l’épargne brute des entreprises est liée à l’épargne privée totale brute.
L’ accroissement des profits par unité de temps : Une hausse des profits du commencement à la fin de la période considérée, rend attrayant certains projets qui étaient auparavant considérés non profitables, et permet ainsi une extension des bornes des plans d’investissement au cours de la période.
Enfin, l’accroissement net d’équipement en capital par unité de temps agit négativement sur le taux des décisions d’investissement, c’est à dire que sans cette action, le taux des décisions d’investissement serait plus élevé. En effet, un accroissement du volume de l’équipement en capital si les profits sont constants, signifie une diminution du taux de profit. De la même manière qu’un accroissement des profits dans la période considérée rend plus attrayant des projets additionnels d’investissement, une accumulation d’équipement en capital tend à restreindre les bornes des plans d’investissement.
b. La fonction d’investissement selon Kaldor
Dans son ouvrage " Théorie macro-économique " R.G.D Allen la considère comme la fonction critique du modèle. Kaldor lui-même écrit dans son article de 1957 que "le moteur principal dans le processus de la croissance économique est la facilité à absorber le progrès technique, combinée avec la volonté d’investir des capitaux dans les risques des entreprises ".
Pour qu’une croissance continue soit possible, il faut d’une part, que l’output augmente par le biais de l’investissement de biens capitaux : c’est ce qu’exprime la fonction de progrès technique. Mais d’autre part, un certain investissement doit résulter de l’accroissement de la production. Cette deuxième fonction, Kaldor la suppose basée sur la psychologie des entrepreneurs. C’est elle qu’il nomme la fonction d’investissement et il la soumet aux contraintes suivantes :
Le taux de profit par rapport au capital étant donné, les entrepreneurs désirent maintenir une relation constante entre le montant de capital investi et leur chiffre d’affaires. Ici Kaldor reprend la notion de capital "désiré " que l’on retrouve déjà dans l’une des deux versions du modèle Harrod-Domar, celle du multiplicateur-accélérateur. Cette relation est une fonction croissante du taux de profit par rapport au capital auquel s’attendent les entrepreneurs. De plus, les investissements de chaque période doivent permettre l’égalisation du stock réel de capital avec le stock désiré. Enfin, les entrepreneurs comptent sur une croissance à taux constant du chiffre d’affaires ainsi que sur une marge de profit identique à celles des périodes précédentes.
Notons que pour Kaldor et pour tous les néo-keynésiens, l’épargne n’est pas forcément investie, tout au contraire c’est le comportement des entrepreneurs en matière d’investissement qui est le moteur du système ; c’est cela qui détermine le rapport I/Y et donc le niveau et le taux de profit. On comprend dans ces conditions le soin apporté par Kaldor à élaborer une fonction d’investissement qui rend compte, ne serait-ce que de façon très grossière, du comportement des entrepreneurs - investisseurs en s’inspirant notamment d’un certain nombre d’éléments mis en évidence par Harrod, J. Robinson et Kalecki.
Ainsi, l’investissement dépend d’un certain nombre d’éléments subjectifs (les esprits animaux chers à Robinson) qui sont intégrés ici par l’intermédiaire des changements dans le taux de profit anticipé. Pour Kaldor, à l’opposé de ce qu’enseigne la théorie néo-classique, la loi des débouchés ne joue pas, l’offre n ‘est pas systématiquement et nécessairement égale à la demande, l’épargne n’est pas forcément et intégralement investie ; ce sont donc les comportements en matière d’investissement et non les comportements à l’égard de l’épargne qui sont fondamentaux.
Kaldor écrit sa fonction d’investissement en partant tout d ‘abord du capital désiré, noté K* :
· K* = v . Y + b (P/K).Y
P désigne les profits, v et b sont des paramètres soumis aux contraintes v> 0 et b > 0
Comme I = dK/dt, on peut aussi écrire la relation en fonction de l’investissement désiré dK*/dt, c’est à dire la différence entre le capital désiré et le capital existant :
· dK*/dt = v.(dY/dt) + b .d(P/K.Y)1/dt
Le premier terme du deuxième membre traduit le principe d’accélération. Kaldor critique beaucoup l’utilisation de ce principe dans les modèles qui prétendent représenter les cycles économiques car, pour lui, cela suppose une relation constante entre l’output et le capital (où plutôt et la capacité de production) alors qu’un changement dans cette relation lui semble essentiel pour la compréhension des mécanismes des cycles. Il admet cependant le principe pour des modèles de croissance à long terme. En tout cas, le deuxième membre de l’équation affaiblit le jeu de l’accélérateur en faisant aussi dépendre l’investissement des variations du taux de profit.
Deuxième partie : le second modèle de Kaldor et les obstacles à la croissance de l’économie capitaliste selon Kalecki. |
A. Le second modèle de croissance élaboré par Kaldor. |
Le deuxième modèle élaboré par Nicholas Kaldor conserve un certain nombre de traits généraux communs avec le modèle publié en 1957. Il s’agit toujours d’un modèle
" keynésiens " où le taux d’investissement dépend des décisions des entrepreneurs et est indépendant des propension à épargner. Les mécanismes économiques examinés plus haut permettent de dégager l’épargne nécessaire. Mais son analyse garde également sa " coloration " classique, c’est à dire que Kaldor suppose toujours que la croissance équilibrée s’accompagne d’un plein emploi continuel. Il apporte à cette hypothèse une nouvelle précision en affirmant que le dépassement du sous-emploi ne pourra avoir lieu que si le taux de croissance " endogène " (déterminé par le jeu combiné du multiplicateur et de l’accélérateur) qui prévaut lorsque l’offre de travail est élastique, est largement supérieur au taux de croissance " naturel " selon la formulation de Harrod, c’est à dire supérieur à la somme des taux de croissance de la population active et de la productivité du travail.
On se réfère toujours à une économie fermée et le taux d’accroissement de la population est supposé constant et traité comme une variable exogène.
La formulation de 1957 a subi des transformations profondes dans ses caractères les plus importants. En effet, Kaldor adopte maintenant l’hypothèse d’un stock de capital hétérogène et élabore donc un modèle à générations. Dans son premier modèle on parle de progrès technique neutre car la variation de la fonction de production s’effectue sans qu’il y ait une déviation, ni en faveur d’une diminution du capital, ni en faveur d’une diminution du travail.
Mais le progrès technique peut être incorporé, c’est à dire qu’a toute époque le flux d’investissement intègre les innovations. Seuls certains types d’équipements et certains éléments de la force de travail sont touchés. Il existe une obsolescence du matériel et, par là le stock de capital se trouve hétérogène et constitué de plusieurs " générations " de machines.
Trois cas peuvent alors se présenter :
· Dans le premier, il y a une substitution constante entre le travail et le capital aussi bien lors de l’installation de machines que pendant toute leur durée d’utilisation. C’est le modèle putty-putty.
· Le deuxième cas correspondant au modèle clay-clay où il n’y a aucune substitution des facteurs demeure très restrictif.
· Dans le troisième cas, cette substitution n’a lieu que pour des machines nouvelles, ce qui signifie qu’il y a des possibilité de substitution ex ante mais non ex post. Il s’agit alors du modèle putty-clay, dont Kaldor emploie un développement pour le deuxième modèle qu’il a élaboré. Avec l’hypothèse putty-clay, on suppose donc deux facteurs de production, le travail et le capital, qui sont employés à un niveau de plein-emploi. Au cours du temps, le capital est progressivement mis au rebut en fonction de son âge mais dans le cadre de chaque génération on continu de lui affecter la même équipe de travail.
b. la fonction de progrès technique.
Pour Kaldor, elle doit montrer le lien entre le taux de variation de l’investissement brut par homme et le taux d’accroissement p de la productivité du travail afférente au capital nouvellement installé. On tient compte de l’obsolescence du matériel, phénomène dont les entrepreneurs sont parfaitement conscients et qui influence directement leurs décisions d’investissement.
Son hypothèse de progrès technique continu et d’obsolescence amène Kaldor à estimer que la mesure du stock de capital n’est pas possible, aussi, contrairement à sa fonction de 1957, il n’envisage pas le taux d’accumulation du capital mais s’occupe uniquement de l’investissement brut. D’autre part, il faut souligner que le taux de productivité considéré ici n’est pas celui prévalent dans l’ensemble de l’économie mais uniquement celui imputable aux ouvriers travaillant sur les machines nouvellement mises en service. Il faut souligner la supposition que le taux de progrès technique ainsi mesuré est le même dans tous les secteurs. Kaldor admet cependant qu’il s’agit d’une hypothèse simplificatrice ne rendant pas compte de toute la réalité. Le progrès technique modifie la nature des décisions d’investissements et rejaillit sur les expressions des variables retenues. De plus, Kaldor fait un certain nombre de supposition nouvelles par rapport à son premier modèle.
c. Les fonctions d’investissement et d’épargne
Les décisions des entrepreneurs présentent deux caractères importants. Tout d’abord, ils n’investissent que dans la mesure où cela permet de maintenir la productivité du capital au dessus d’un minimum considéré comme normal dans l’économie. La raison en est que si les gains d’une entreprise sont peu élevés en comparaison du capital employé, ou s’ils augmentent moins que la valeur de ce capital, la position financière de la firme s’en trouvera affaiblie. Par conséquent, on suppose que la somme des profits attendus de l’installation et du fonctionnement d’un nouvel équipement pendant son temps d’activité T procurera, après amortissement complet, un taux de profit au moins égal au taux f considéré comme normal dans l’économie.
Le deuxième point est que, dans une hypothèse de progrès technique continu, les entrepreneurs se préoccupent moins du long terme que du court terme où les effets d’inventions nouvelles imprévisibles sont moins significatifs. Il en résulte que les investissements projetés doivent pouvoir être amortis dans un certain laps de temps, c’est à dire que les profits dégagés dans les h premières années de mise en service doivent rembourser le coût des investissements. Ce concept de période remboursement a été jusqu’ici peu utilisé dans la théorie économique et constitue sans doute un des apports les plus intéressants du modèle.
Comment se présente l’épargne qui doit permettre de financer ces investissements ?
Kaldor adopte définitivement l’hypothèse simplificatrice qu’il avait déjà envisagée et où sw= 0. Il la justifie en supposant que sw est contre-balancée par les investissements individuels comme la construction privée. Il ne reste donc que sp et l’épargne des titulaires de profits.
Dans ce modèle, c’est toujours la fonction de progrès technique qui joue le rôle central en déterminant le taux de croissance en équilibre.
d. La validité du modèle à génération de capital :
On peut tout d’abord se demander si l’hypothèse putty-clay retenue par Kaldor est la plus vraisemblable. Rappelons que les modèles à génération de capital peuvent se diviser essentiellement en deux catégories plus un troisième cas restrictif, l’hypothèse clay-clay où il n’y a aucune substitution des facteurs. Dans le cas putty-putty, il existe une substitution régulière entre le travail et le capital, aussi ex ante qu’ex post. On se trouve par là plus près de la théorie néo-classique.
Dans le cas putty-clay, une condition de croissance à taux constant est que la durée de vie des machines soit constant dans le long terme. On est alors en présence selon l’expression de Hahn et Matthews, d’une marge " extensive " ajoutée à la marge " intensive " qui correspond à la substituabilité du capital au travail. Ces deux auteurs soulignent la ressemblance très nette de cette conception avec la théorie de la rente foncière de Ricardo.
L’analyse de Kaldor témoigne de sa préoccupation concernant l’usure fonctionnelle, exprimant le fait qu’à une période quelconque, si tout le capital de la génération To n’est pas encore éliminé, la productivité marginale du travail sur les nouveaux équipements est supérieure à celle sur les machines de la génération To. Kaldor envisage bien une obsolescence continuelle prévue par les entrepreneurs. Cette obsolescence pose un problème de transfert de main-d’œuvre des anciens équipements vers les nouveaux, qui ne peut être résolu dans le cas du modèle putty-clay que par une mise au rebut des premiers. Sinon on serait conduit à renoncer à l’hypothèse du plein-emploi, ou bien admettre que certaines machines restent en service en percevant des quasi-rentes nulles ou négatives.
Enfin, les différentes couches de capital ne sont pas indépendantes les unes des autres :
Il existe des complémentarités variées entre les différentes générations de capital et l’apparition d’un nouveau type de machines remet parfois en cause l’ensemble des équipements. Un exemple historique est celui de l’apparition des métiers à tisser qui, se révélant trop lourds pour le plancher des ateliers, obligèrent à construire de nouveaux bâtiments.
Il y a une dernière supposition qui est contenue, au moins implicitement, dans les modèles à génération de capital, dont celui de Kaldor, et qui est l’hypothèse de concurrence parfaite ou, au minimum, l’exclusion de toute rigidité des variables économiques. Ceci se comprend aisément par l’exigence de mobilité des facteurs. Or, on vient de voir pour le capital et cela vaut aussi pour le travail, cette mobilité n’est pas toujours, et de loin, réalisée.
B. Les prolongements de l’analyse de Kaldor |
a. Une analyse opposée aux travaux de Solow.
Deux auteurs ont mené des travaux qu’il serait particulièrement intéressant de comparer à ceux de Kaldor. Il s’agit de Robert Solow qui a étudié des modèles à générations de capital, tout d’abord avec une pleine substituabilité des facteurs, puis avec une substituabilité limitée. Son analyse paraît a priori s’opposer très nettement à celle de Kaldor. Le premier modèle de Kaldor ne faisait pas de distinction entre les mouvements le long d’une fonction de production (la technologie étant constante) et les changements dans la fonction de production ( les facteurs étant constants mais la technologie variant). Solow fait une distinction très nette entre ces deux phénomènes et utilise une fonction de production dans ses modèles.
Kaldor estime d’une part, qu’une intensité croissante de capital amène inévitablement l’introduction de techniques supérieures demandant une certaine capacité d’invention, sans pour autant toujours représenter l’applications d’idées entièrement neuves. Il pense d’autre part, que la majorité des innovations techniques requièrent une intensité croissante du capital par tête.
Mais que se passe-t-il si le coût du capital amène une substitution en faveur du travail, ou si le progrès technique laisse inchangée l’intensité du capital, ou même la diminue ? On peut cependant admettre que de tels cas sont rares.
Un autre argument plus sérieux est que l’on voit mal comment le passage d’une technique à l’autre sans progrès technique peut demander une quelconque capacité d’invention. Il ne peut s’agir que d’un choix entre différentes techniques connues.
Le deuxième auteur est K.J Arrow, qui a développé un modèle d’apprentissage qu’il est plus aisé de rapprocher de certaines considérations de Kaldor. Ce rapprochement est d’autant plus facile à faire que Kaldor l’admet implicitement. Arrow avance l’hypothèse que le changement technique en général peut être attribué à l’expérience, c’est à dire que c’est " l’activité même de la production qui donne naissance aux problèmes pour lesquels des réponses favorables sont sélectionnées dans le temps ". L’expérience engendrant des gains de main-d’œuvre, l’output est lié à la quantité de main d’œuvre, ce qu’exprime la fonction de production, et d’autre part, la force de travail nécessaire est liée à l’output déjà produit. Il y a donc une rétroaction de l’activité sur l’état des connaissances : au fur et à mesure du développement de la production, on découvre et on invente ce qui permet de produire encore plus. Dans son deuxième modèle, Kaldor admet de même qu’il peut y avoir un certain progrès technique par l ‘accroissement du savoir-faire sur les machines existantes.
C. Les obstacles à la croissance de l’économie capitaliste pour Kalecki |
La logique du système capitaliste empêche des processus cumulatifs indéfinis ; Kalecki fonde son socialisme sur ce caractère inévitable du capitalisme qui fait que la création continue de capacité productive entraîne la baisse des profits, et donc ralentit puis arrête cette création : " inanité d’un système, dans lequel précisément la création des bases matérielles du relèvement du bien-être de la population devient la cause de la baisse du niveau réel de vie ".
Puisque dans le système capitaliste, le mécanisme de la baisse cyclique du taux de profit engendrée par l’accroissement cyclique du stock de capital, fait que les phases d’expansion et de récession ont tendance à constamment s’équilibrer, comment expliquer la croissance économique observée depuis un siècle et demi, la tendance de longue durée qui se dégage au delà des fluctuations cycliques ?
a. La croissance de la population.
Kalecki écarte la simple croissance de la population. Il explique qu’une population croissante augmente les potentialités de l’expansion de longue durée de la production. Mais cette accroissement de population fournit-il aussi un stimulant au développement à long terme, qui contribue à l’utilisation effective de ces potentialités ? Kalecki explique qu’un accroissement de population en économie capitaliste, accroîtra le chômage et donc fera baisser les salaires monétaires, ce qui élèvera le degré de monopole, mesure insuffisante en soi à créer la volonté d’investir. Il faut que la demande s’accroisse parallèlement. Puisque ce sont les investissements qui décident des bénéfices, une politique d’investissement accroîtra ceux-ci, donc l’emploi, la demande et les perspectives futures. Il ajoute que " cela, en soi n’est pas suffisant puisque les profits ont de toute manière tendance à décliner ".
b. Le degré d’intensité des innovations.
Les inventions qui sont faites au cours d’une période donnée rendent plus attrayants certains nouveaux projets d’investissement. Kalecki montre que l’influence de ce facteur est semblable à celle d’un accroissement des profits globaux qui au cours d’une période donnée, rend les projets d’investissement généralement plus attrayants qu’il ne l’étaient au début de cette période. Chaque invention nouvelle, comme chaque accroissement des profits, donne naissance à certaines décisions additionnelles d’investissement. Pour Kalecki, les innovations ont sur l’investissement une action semblable à l’accroissement continuel des bénéfices, du moins dans un premier temps, car elles relancent l’investissement. Mais ces innovations sont pour Kalecki un facteur semi-exogène car si elle sont nécessaires à l’expansion du système, elles ne sont pas impliquées fondamentalement par le mécanisme du cycle. Comme Schumpeter, il entend les innovations d’une manière assez large et ne les identifie pas uniquement au progrès technique, ce peut être par exemple l’accès à de nouvelles sources de matières premières. Le ralentissement de la croissance des économies capitalistes s’explique seulement en partie par le déclin de l’intensité des innovations.
c. L’épargne des rentiers.
En régime capitaliste, l’appropriation privée des moyens de production a une conséquence fondamentale, l’existence de rentiers, de propriétaires de capitaux distincts des entrepreneurs et qui prêtent leurs capitaux aux entrepreneurs selon leurs anticipations de profits, selon l’efficacité marginale de leur investissement. Le risque croissant qu’il ne faut pas confondre avec la baisse cyclique des profits par suite de l’excès d’accumulation, est un facteur de limitation de la croissance en économie capitaliste. Cette notion est un apport fondamental de Kalecki à la théorie de l’économie capitaliste. A la question qu’est ce qui limite l’investissement de l’entreprise ? Kalecki a développé en 1937 le facteur du risque croissant que l’on a déjà défini : plus l’entrepreneur investit, plus il réduit sa liquidité et plus sa situation est rendue difficile en cas de mauvaise affaire. Keynes a introduit l’incertitude et le risque, il a montré que la prime de risque couvre la différence entre l’efficacité marginale de l’investissement et le taux de l’intérêt, différence qu’il faut maintenir pour que les rentiers continuent à prêter leurs capitaux. Kalecki ajoute " que le taux de risque par investissement croît avec l’importance de l’investissement " [A Theory of the Business Cycle]. Si l’entrepreneur veut emprunter aux rentiers, ceux-ci lui feront payer un taux d’intérêt d’autant plus élevé que le capital liquide qu’il aura conservé sera plus faible, car la véritable garantie n’est pas le capital immobilisé qui se liquide mal, mais le capital propre non investi.
Ainsi, les rentiers considèrent que le risque croît avec l’accroissement du capital et font varier le taux d’intérêt en conséquence. A cela deux raisons :
CONCLUSION.
Pour reprendre l’expression de Kurt W. Rotschild, " Kaldor adopte la position ambitieuse de faire du progrès technique un élément essentiel de sa structure théorique. Mais pour garder cette structure maniable et bien définie à l’intérieur du cadre traditionnel de la théorie moderne de la croissance, il lui faut adopter une fonction de progrès technique très simplifiée et plutôt particulière ". On pourrait penser que dans la réalité, l’entrepreneur qui investit se trouve devant un grand choix de procédés techniques de production. Un certain nombre de facteurs économiques déterminent le comportement des entrepreneurs et Kaldor laisse ce point sous silence grâce à certaines de ses hypothèses, notamment celle qui concerne la croissance continue au niveau du plein-emploi. Dans ce cas, et avec une population stationnaire, toute accumulation du capital induit une seule sorte possible de rapport capital -travail et les variations de l’offre de travail sont éliminées. Mais dès que nous envisageons des combinaisons techniques variables entre le capital et le travail, la courbe TT’ que nous avons vu, n’est plus unique : avec le même degré d’accumulation du capital, on pourra obtenir différents taux de croissance de l’output et différents coefficients de capital.
Dans la mesure où Kaldor a voulu bâtir un modèle de croissance à long terme valable pour les économies capitalistes actuelles, ses hypothèses sont insuffisantes. On ne peut guère douter que le variations de l’emploi jouent un rôle et que l’investissement peut créer ou absorber en partie le chômage. Kaldor présuppose un équilibre qui n’existe guère, en fait, dans les économies de marché. N’oublions pas non plus que Kaldor ne tient pas compte du secteur public et que celui-ci joue aujourd'hui un rôle prépondérant.
En outre, à côté de l’approximation que représente un modèle putty-clay par rapport à la réalité, la querelle de l’approche par une fonction de production suivant Solow ou par une fonction de progrès technique suivant Kaldor, peut sembler académique. Tout paraît se passer un peu comme si l’on s’éloignait de la réalité en voulant la cerner de plus près. Cependant Kaldor n’est pas le seul qui puisse encourir cette critique et son analyse représente un pas important dans la compréhension du processus de croissance des sociétés contemporaines et elle permet notamment de comprendre que la croissance équilibrée en situation de plein-emploi n’est pas possible à n’importe quel rythme.
Son premier modèle vise néanmoins à prouver qu’il existe une solution permettant à l’économie d’aller d’un équilibre de courte période vers une croissance à taux constant dans le long terme. Pour Kalecki au contraire, la croissance de l’entreprise est limitée, comme nous l’avons vu, par le capital détenu par l’entrepreneur. Comme d’autre part, les innovations sont des événements relativement aléatoires, " le capitalisme est donc fortement menacé ". Ces considérations ont amené Kalecki a présenter ses vues sur les variations à long terme du revenu national et de ses composants en économie socialiste La logique du système capitaliste empêchant des processus cumulatifs indéfinis, Kalecki fonde son socialisme sur ce caractère inévitable du capitalisme qui fait que la création continue de capacité productive entraîne la baisse des profits et donc ralentit puis arrête cette création. S’il n’existe selon lui " aucune de ces limites en économie socialiste ", l’histoire a montré qu’il en existaient d’autres.
BIBLIOGRAPHIE : |
· " Problématique de la croissance (volume 1). Néo-classiques et néo-keynésiens ".
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· " Théorie Macroéconomique de la croissance ".
J-P. Azam
· " Croissance et cycles. Théories contemporaines ".
Pierre-Alain Muet
· " Théorie de la dynamique économique ".
M. Kalecki
· " Théorie de la croissance en économie socialiste ".
M. Kalecki
· " Capital accumulation and economic growth ".
N. Kaldor
· " Note complémentaire sur le modèle de répartition de N. Kaldor ".
J. Marchal
· " The limitations of economic growth models : critical remarks on some aspectc of Mr.
Kaldor’ model ".
K. Rotschild
· " The economic implications of learning by doing ".
K.J Arrow